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la littérature n’ont rien à démêler avec cet empressement de la critique; des intérêts beaucoup moins élevés, mais beaucoup plus matériels et pratiques, sont engagés dans cette question. La critique théâtrale ne parle pas des pièces parce qu’elles sont bonnes ou mauvaises, elle en parle tout simplement parce qu’elles sont représentées. Ce n’est pas la pièce, c’est le théâtre où elle se joue qui est l’affaire principale. Il importe peu que l’auteur soit un sot, et qu’il ait accouché d’une rapsodie; mais il importe beaucoup que le public soit informé que cette rapsodie se joue dans tel ou tel théâtre, et qu’il fera plaisir au directeur du susdit théâtre, s’il veut bien aller en remplir la salle pendant un nombre indéterminé de semaines.

D’ailleurs une pièce n’a pas absolument besoin d’avoir un mérite littéraire véritable pour attirer la foule, et même, ajouterai-je, pour justifier le succès; l’auteur ne se présente pas seul, il se présente doublé d’un acteur, qui la plupart du temps pourrait s’intituler le véritable auteur de la pièce. Si la prose ou les vers de l’auteur ne valent pas la peine qu’on en parle, il n’en est pas ainsi du jeu de l’acteur qui communique la vie à cette prose inerte, et l’harmonie à ces vers informes. Il serait injuste de faire participer ces habiles interprètes à l’ostracisme légitime qui doit frapper les mauvaises œuvres. Enfin le théâtre est avant tout pour le public un divertissement, comme un bal masqué, comme une fête de nuit, comme une exhibition de clowns et de danseurs. On ne va pas au théâtre pour chercher un plaisir élevé et sérieux; on y va pour trouver un délassement, une diversion à une journée laborieuse. Il est bien rare qu’une représentation dramatique n’offre pas une particularité quelconque qui puisse vous faire passer agréablement une heure ou deux. La pièce est exécrable, mais les décors sont si beaux! L’intrigue agace les nerfs, mais avez-vous vu comme Mme L..., dans son costume d’homme, monte bien l’échelle périlleuse au troisième acte! Ce mélodrame est la profanation d’une œuvre de génie, et mériterait que l’auteur reçût les férules pour avoir permis à ses doigts malhabiles d’accomplir cette profanation; oui, mais il y a de jolies danses, et surtout un certain danseur excentrique qui se compose de deux jambes et d’un nez! Cet acteur rugit comme une bête fauve, mais regardez donc marcher le vaisseau; ne dirait-on pas qu’il navigue en pleine mer? Cette actrice est froide et sans intelligence; oui, mais sa toilette du second acte est ravissante, et puis elle a de bien jolis yeux. Rien que sa toilette et ses yeux valent l’argent payé au contrôle. Les théâtres, comme on le voit, n’ont donc pas une manière de faire parler d’eux, ils en ont cent, et par conséquent les journaux, bon gré, mal gré, sont obligés de s’occuper des pro-