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mondaines qui distinguent le talent de M. Dumas fils, le sang-froid, le calme, la tenue, voire la sécheresse, apparaissent avec tous leurs avantages. Ces qualités sont toutes négatives, mais elles ont le privilège d’empêcher celui qui les possède de tomber dans la puérilité et de dépenser inutilement son indignation. Il est bon de s’indigner contre le mal, mais il est puéril de s’étonner qu’un coquin le commette. C’est ce qui est arrivé plus d’une fois à M. Barrière, et entre autres dans son fameux drame des Filles de Marbre, mauvais ouvrage dont l’immense succès est un des plus déplorables symptômes de l’état du sens moral à notre époque. Ce drame, longue et incohérente tirade contre la cruauté des courtisanes, pourrait se résumer dans le singulier aphorisme que voici : — vos vices, mesdemoiselles, ne sont pas désagréables, mais vous devriez y joindre quelques vertus. Vous êtes belles, aimables, amusantes; vous devriez être encore bonnes, tendres et dévouées. — Comment M. Barrière a-t-il pu commettre une erreur de jugement aussi monstrueuse, et comment le public n’a-t-il pas aperçu tout ce qu’il y a de choquant dans une pareille donnée? Pourquoi donc s’étonner que les courtisanes n’aient pas de vertus? Elles n’y ont aucun droit, et leur métier n’est pas d’en avoir. Leur reprocher d’être cruelles est aussi puéril que de reprocher au tigre sa férocité. Le métier de courtisane n’est pas plus fait pour enseigner la bonté que l’ivrognerie pour enseigner la tempérance, et la passion du jeu la prudence. Récriminer contre les vices est aussi inutile que puéril, c’est une véritable perte de temps. En définitive, le personnage immoral me semble encore plutôt dans ce cas la dupe que le charlatan, et j’avoue que M. Raphaël Didier me semble beaucoup plus coupable que Mlle Marco, laquelle ne manque, si l’on y regarde bien, ni de bon sens, ni de sensibilité.

« Mais vraiment! pourrait-elle dire à son très faible amant, vous m’accusez à tort de cruauté et de froideur; moi, je vous accuse à meilleur droit de manquer d’esprit et de vertu. Si l’un de nous deux est immoral, c’est vous, car il est immoral d’attendre de quelqu’un ce que ce quelqu’un ne peut lui donner. Vous savez qui je suis et où vous m’avez prise ; pourquoi me forcez-vous à vous le rappeler? Il y a des choses qu’on n’aime pas cependant à se dire même à soi-même. Vous savez qui je suis et quel métier j’exerce; or votre présence nuit à mes intérêts, et cependant vous vous obstinez à rester malgré moi. Du rôle d’amant vous descendez au rôle d’importun et de fâcheux. Si vous n’étiez que jaloux, vous ne seriez que ridicule; mais vous m’êtes un obstacle, et vous ne voyez pas que par conséquent vous allez devenir odieux. Je vous ai donné tout ce que je pouvais vous donner, sachant que vous n’aviez à me don-