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peut relire, car l’analyse psychologique ne lui fait pas défaut, et l’on ne peut nier qu’il n’y ait chez lui de consciencieux efforts. Il est fâcheux que tant de travail uni à des qualités sérieuses l’ait conduit à une impasse d’où il est impossible de sortir après quelques années d’un semblable exercice. M. Champfleury paraît convaincu « que l’homme de génie n’arrive à une œuvre remarquable qu’après des essais nombreux. » Espérons que ceci le regarde; mais en attendant constatons, en lui empruntant une dernière phrase, que ses efforts n’ont abouti « qu’à semer le pépin du mécontentement sur une terre fertile. »

S’il est quelques reproches que la critique puisse adresser à M. Amédée Achard, assurément ce n’est point celui de réalisme. M. Achard pêche plutôt par une affectation trop visible de bon goût, par la recherche trop exclusive d’un idéal convenu. Ses personnages, qu’il réussit ordinairement à rendre sympathiques, manquent quelquefois de consistance. Il semblé qu’il n’ose pas donner à ses caractères, qu’il étudie soigneusement du reste, toute la franchise qu’ils comportent, et la première des deux nouvelles que renferment les Vocations[1] se ressent de cette absence de fermeté. Urbain Lefort est un de ces artistes que tuent peu à peu la débauche et la paresse; mais ce n’est pas seulement eux-mêmes qu’ils sacrifient à ces deux impures, ce sont aussi les âmes innocentes et résignées qui se sont dévouées à être les compagnes d’une aussi misérable existence, et que la douleur d’en rester les témoins condamne au supplice du désespoir et de la jalousie. Le sujet est vrai, mais il n’est pas, traité avec la vigueur nécessaire; on ne sent point assez la conviction de l’auteur. La seconde nouvelle, qui a pour titre la Maîtresse de Dessin, se rapproche un peu plus d’une charmante étude que les lecteurs de la Revue n’ont point oubliée. Mademoiselle Du Rosier. Il y a là un caractère de jeune fille finement et fermement tracé; il se distingue avec bonheur des figures féminines dont M. Achard aime trop d’ordinaire à estomper les contours. L’analyse et l’intérêt ne font pas défaut à l’écrivain; on peut lui demander un peu plus de concentration, moins de formules et d’appellations mondaines, et, je le répète, moins de convenu. Ces défauts ne peuvent compter comme causes d’insuccès, mais à la longue ils deviennent des écueils.

Au-dessous des inventeurs qui se recommandent par de grandes qualités d’action dramatique et d’analyse morale se placent des écrivains qui tendent simplement à se montrer agréables, et qui se contentent de chercher dans les sentimens les plus généraux et dans les événemens de la vie commune des sujets d’une facile intelligence et d’un intérêt presque certain. Mme Louis Figuier, dont la première nouvelle, Mos de Larène, a paru dans la Revue, semble devoir appartenir à cette classe d’écrivains qui plaisent et qui reposent. Une fable naïve et touchante, l’exposition d’un dévouement maternel à la fois simple et élevé, d’intéressans détails sur la vie méridionale suffisent à remplir heureusement le petit cadre que l’auteur a choisi. On retrouve à peu près les mêmes élémens de succès dans les Filles du Boër. M. Alfred de Bréhat, l’auteur de ce roman, y a retracé d’une façon intéressante des souvenirs du cap de Bonne-Espérance. Études des mœurs particu-

  1. 1 vol. in-12, L. Hachette.