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lières aux habitans semi-colons, semi-soldats de cette contrée, opposition du caractère hollandais au caractère anglais, chasses, paysages, tels sont les principaux élémens d’un livre qui s’achève sans fatigue, et peut passer pour un curieux récit de voyage où le drame fait heureusement ressortir les observations du touriste. — Quant aux Nouveaux contes excentriques, par M. Charles Newill, la rapidité avec laquelle ils nous paraissent écrits nous dispense de nous y arrêter longuement. Constatons-y la présence d’une sorte d’humour plus affectée que naturelle; mais ce ne sont que des esquisses fugitives qui peuvent tromper pour un moment l’ennui des voyageurs auxquels elles sont destinées. Ainsi passent et passeront une foule d’œuvres dont nous n’avons pas à parler, que le mouvement social rend pour ainsi dire nécessaires, mais qui n’ont aucune valeur absolue, et qui ne doivent leur existence qu’à ce besoin invincible du public de relire les vieilles histoires dont on a bercé son enfance, imprimées sous un nouveau titre et sur du papier neuf.

Les préoccupations générales qui se tournent à l’heure qu’il est vers ces Alpes, dont les échos redisent tant de misères après avoir propagé tant de grandeurs, donnent une opportunité toute particulière au livre que vient de publier M. Laurent Pichat, la Sibylle[1]. A proprement parler, ce n’est point un roman, c’est une étude politique. Il est impossible de lire la Sibylle sans se rappeler à chaque page une œuvre conçue dans un tout autre esprit, mais qui donnait du caractère italien un calque bien plus fidèle et plus net, la Chartreuse de Parme. Entre les deux romans, il y a des différences de toute espèce sur lesquelles il est inutile d’insister. La Chartreuse de Parme est en quelque sorte le roman autrichien de l’Italie, et le comte Mosca, la principale figure du livre, est le portrait le plus remarquable qu’on ait jamais tracé du prince de Metternich. La Sibylle plaide au contraire pour l’indépendance et pour la liberté, mais les idées en sont encore plus françaises qu’italiennes. Le Prince de Machiavel a inspiré Stendahl ; Dio è popolo pourrait servir d’épigraphe au roman de M. Pichat. Où ils se rencontrent tous deux néanmoins, c’est dans la conception du jeune Italien moderne : Fabrice et Giusto Salvi sont bien le même personnage. A côté de ce type, qui réunit l’exaltation naïve et la confiance présomptueuse, se place dans la Sibylle une double antithèse : d’une part le jésuite et l’apôtre, de l’autre la femme qui ne connaît que les passions de son cœur et la femme inspirée qui se consume pour l’idée politique, qui cache les proscrits et qui devient l’Egérie secrète du prince Ænéas, représentant d’une personnalité royale que tout le monde nommera. L’intérêt du livre de M. Laurent Pichat réside presque tout entier dans ces types considérés séparément, car il n’offre ni la lutte de passions et d’intérêts, ni le choc des caractères qui remplissent la Chartreuse de Parme d’épisodes si dramatiques. Le livre n’en est pas moins instructif, parce qu’il est sincère, parce que M. Laurent Pichat n’y a rien caché, soit qu’il ait obéi à une impartialité rare devant les brûlantes passions qui se combattent avec tant d’acharnement, soit qu’il adopte lui-même et approuve les inconséquences et les fièvres de ces âmes dont on ne peut méconnaître la noblesse, mais chez qui l’impatience tue le raisonnement,

  1. 1 vol. grand-18 jésus, Librairie-Nouvelle.