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taires et les récits de M. Le commandant Faidherbe. Elle-même, d’où vient-elle? L’ethnologie, s’appuyant sur quelques analogies de langage assez peu voisines et assez peu nombreuses, songeait à l’identifier avec les races malaisiennes, qui, après avoir franchi la mer des Indes, auraient traversé l’Afrique dans son épaisseur sous la latitude de Meroë. Peut-être en effet, pense M. Barth, ces hommes sont-ils venus de l’est, mais c’est à une époque si lointaine, qu’on ne saurait plus retrouver trace de leurs migrations. Peut-être aussi, à un âge qu’on ne peut estimer moins éloigné que celui des Pharaons, y a-t-il eu quelque lointaine affinité entre les Fellani et certaines des tribus de l’Afrique méridionale. La question d’origine ne paraît donc pas pouvoir être résolue, et si nous voulons étudier l’action des Fellani, il faut que nous nous bornions encore, avec la relation du docteur Barth, à les prendre au XIIIe siècle, à leur première apparition dans l’histoire, et à les suivre jusqu’à cet extrême développement de l’heure présente qui, par plus d’un point, les met en contact avec les Européens.

Ce ne sont pas seulement de rares voyageurs et quelques consuls anglais que les Fellani et les Berbers doivent désormais rencontrer : ceux de l’ouest ont devant eux un voisin plus immédiat, dont les succès ont retenti à travers le désert jusque dans la cité de Timbuktu. Les deux derniers volumes de la relation de M. Barth tirent, au point de vue français, un intérêt particulier des renseignemens que le voyageur fournit sur l’état politique de la ville. Il est singulier de voir que Timbuktu va par ses craintes au-devant des desseins et des intérêts de la France : nous n’avons encore songé qu’à lui envoyer un voyageur; une récompense est promise à celui qui dans la traversée du désert occidental relierait l’Algérie au Sénégal ou le Sénégal à l’Algérie par Timbuktu, et ce n’est pas un voyageur isolé, c’est une armée que la ville noire attend. Pendant le séjour de M. Barth à Timbuktu, la nouvelle vint par Ghadames que les Français dirigeaient une expédition militaire sur Wargela à la limite du grand désert, et le bruit de leurs succès, grossi de tribu en tribu, arrivait comme une menace imminente et était l’objet de toutes les conversations : on disait qu’ils allaient se jeter sur Tawat, au cœur du Sahara, et que ce ne serait qu’une étape vers Timbuktu. Le voyageur était obligé de dissimuler sa présence, car peu de ses hôtes étaient dans le cas de distinguer entre un envoyé de l’Angleterre et un de ces Français craints et détestés; et ils enveloppent dans une commune aversion tous les chrétiens mangeurs de porc et, ce qui est encore pis, d’œufs non brisés, c’est-à-dire d’œufs à la coque, qu’ils prennent pour des œufs crus. Dans l’opinion des politiques de la ville, Barth était un espion dont la présence se rattachait aux succès menaçans des Français. Deux fois dans une même après-midi le sheikh, ami et protecteur du voyageur, vint le trouver pour l’entretenir de l’opportunité qu’il y aurait à réunir les forces des Berbers de Timbuktu à celles des Tawati pour les précipiter contre les Français, et celui-ci eut bien du mal à détourner son hôte de ce projet trop hardi. Il ne put du moins pas l’empêcher d’écrire aux Français pour leur interdire tout empiétement ultérieur. Cette singulière missive fut envoyée de Timbuktu en Algérie vers le mois de mai 1854. Depuis ce temps, les Français n’ont ni occupé Tawat, ni marché sur Timbuktu. Cette conduite a sans doute comblé le sheikh de satisfaction sur le résultat de sa démarche,