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ils continuaient l’œuvre de leurs devanciers, et ils eurent recours aux mêmes armes[1]. On avait tenté d’assassiner Richelieu, on tenta d’assassiner Mazarin. On réclama de celui-ci ce qu’on avait espéré arracher à celui-là, des principautés indépendantes, des places fortes, des gouvernemens héréditaires. L’hérédité des charges et des gouvernemens, voilà le seul principe qui s’agite dans ces tristes querelles. Le duc de Bouillon veut ravoir sa principauté de Sedan ; Vendôme, le gouvernement de Bretagne, comme héritage de son beau-père ; La Rochefoucauld, le gouvernement du Poitou, parce que son père l’avait occupé. La royauté fait effort pour résister à ces prétentions et pour faire prévaloir le principe que les charges sont personnelles et émanent de la couronne. Maintenant n’est-il pas évident que les importans de 1643 sont les frondeurs de 1648 ? Encore une fois, c’est la même cause servie par les mêmes hommes. Mme de Motteville nous a conservé les demandes des chefs de la fronde et les conditions auxquelles ils consentaient alors à désarmer et à se soumettre. Le catalogue de ces demandes[2] est fort long : nous avouons n’y avoir rien trouvé qui ressemble au bill des droits et aux principes de 1789. Des charges de cour, des gouvernemens, des pensions, tel est l’unique sujet de toutes ces demandes, qui fatiguent de leur uniformité et révoltent par leur impudence.

Si on veut voir clair dans la fronde et connaître un peu le dessous des cartes, il faut lire les correspondances confidentielles, les lettres échappées dans l’action même et où les cœurs et les intentions véritables se montrent à découvert, et ne se fier qu’avec une grande circonspection aux manifestes officiels, surtout aux mémoires. Les mémoires en effet ne sont pour la plupart que des apologies mensongères, des plaidoyers composés après l’événement pour se dé- fendre soi-même ou pour attaquer les autres, et en imposer à la postérité, qui se laisse prendre aux apparences comme les contemporains, et, comme eux et plus qu’eux peut-être, cède au prestige du talent. Or il n’y a point de meilleurs écrivains que Retz et La Rochefoucauld, en attendant Saint-Simon. Leur style a toutes les grâces de la plus fine aristocratie : pas la moindre rhétorique, le dédain des règles pédantesques, une simplicité et une vivacité charmantes, et ce grand air si puissant sur la bourgeoisie dans les livres comme dans le monde. On ne se lasse point de les relire, et à force de les admirer on les croit. C’est là ce qui protège et protégera toujours la fronde auprès de la postérité. Mais résistez un peu, s’il vous est possible, à la séduction de ces récits entraînans, de ces portraits inimitables, et cherchez ce que nous disent de leurs desseins Retz

  1. Voyez Madame de Chevreuse dans la Revue du 15 décembre 1855.
  2. Mémoires de Madame de Motteville, t. III, etc.