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Plus d’une fois dans le cours de la fronde, Mazarin fit la même faute : il méprisa trop ses ennemis et compta trop sur lui-même et sur sa fortune. Éclairé cependant par l’expérience, lorsqu’il revint en France en 1652, il s’appliqua à reconquérir le parlement, et dans toute sa conduite avec l’orgueilleuse compagnie il eut le bon sens de se laisser guider par deux hommes qui la connaissaient bien et y étaient fort puissans, le procureur-général Nicolas Fouquet et le premier président Matthieu Molé.


IX.

Fouquet n’était point un homme ordinaire. Sans doute il n’était pas fait pour le premier rang, et après la mort de Mazarin, lorsqu’un moment il gouverna seul, cette prospérité excessive et venue trop vite l’aveugla. Il fit trop montre de ses richesses et de sa magnificence devant un jeune roi superbe, et l’implacable jalousie de Colbert, secondée par l’intérêt et l’influence de Mme de Chevreuse, profita de ses fautes pour le détruire; mais les illustres amitiés qu’il conserva après sa chute marquent assez qu’il possédait plus d’une qualité éminente. Formé à l’école de Mazarin, il avait l’esprit des grandes affaires; il était capable d’une conduite habile et ferme. Il aimait la gloire et faisait le plus noble usage de son immense fortune, qui n’était guère plus mal acquise que celle de Mazarin et de Colbert lui-même, car apparemment celui-ci n’était pas parvenu à doter les trois duchesses, ses filles, et à bâtir sa magnifique maison de Sceaux avec les économies faites sur ses appointemens. Fouquet avait le tort d’être homme de plaisir comme son frère l’abbé Fouquet; mais l’un et l’autre, pendant toute la fronde, avaient été d’une fidélité exemplaire à Mazarin et lui avaient rendu tout autant de services que Servien, Le Tellier et Lyonne. Fouquet, en qualité de procureur-général, avait une grande autorité dans le parlement. Il était resté sur la brèche pendant les jours les plus difficiles, affrontant avec courage la tempête, et avec les présidens Bailleul, Novion et de Mesmes rappelant et défendant les droits du roi, tan- dis que son frère entretenait avec Mazarin une correspondance où il l’instruisait du véritable état des affaires et des esprits[1]. L’abbé s’était si fort compromis que le 25 avril 1652 il avait été arrêté aux environs de Paris porteur de lettres adressées au cardinal. Le procureur-général alla rejoindre le parlement de Pontoise, et au retour du roi il exerça la plus utile influence. Il fit en quelque sorte la po-

  1. On conserve à la Bibliothèque impériale la correspondance inédite et autographe de Mazarin avec l’abbé Fouquet, qui contient le dessous des cartes de bien des choses et montre l’habileté de l’abbé et la confiance qu’avait en lui Mazarin.