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marches conduisant au salon du pas discret d’un médecin qui ne veut pas réveiller son malade. Les deux sœurs s’y trouvaient seules ; Mercedès, assise dans le grand fauteuil de cuir, s’y balançait en agitant son éventail d’une main indolente ; Luisa, assise à ses côtés et veillant sur elle avec sollicitude, travaillait à un ouvrage d’aiguille et chantait à demi-voix un refrain plaintif et doux. L’aînée l’emportait sur sa jeune sœur de tout l’éclat d’une beauté souveraine, elle trônait comme une reine auprès de sa suivante ; mais si la beauté fière qui a conscience d’elle-même éblouit le regard et subjugue l’imagination, la grâce naïve qui s’ignore produit une impression plus profonde sur les esprits attentifs. En se faisant l’humble servante de sa sœur, Luisa, toute parée des charmes de l’adolescence, mettait sur son front, sans le savoir et sans y prétendre, l’auréole du dévouement et de la résignation. Elle accueillit le docteur avec empressement, heureuse de voir arriver celui qui pouvait soulager les souffrances de sa sœur aînée. Quant à Mercedès, elle cessa d’agiter son éventail en rougissant un peu, et retomba dans une immobilité complète.

— Eh bien ! señorita, lui dit le docteur en lui tendant la main, comment vous trouvez-vous ? — doña Mercedès fit un geste hautain et garda le silence. — Ah ! ah ! on fait la grimace, on a juré de garder le silence…

— Prenez garde, docteur, dit tout bas Luisa ; ne la tourmentez pas, je vous en prie : elle pourrait avoir une crise.

— Laissez-moi faire, señorita, répondit le docteur. — Et s’adressant de nouveau à Mercedès : — Voyons, señorita, regardez-moi, s’il vous plaît. Voulez-vous parier que je vous fais recouvrer l’usage de la parole ?…

— Jamais, jamais, nunca, jamas, répliqua doña Mercedès avec impatience.

— Très bien ! voilà déjà deux mots de prononcés… Ah ! señorita, vous avez un gros chagrin, je le sais, et vous avez juré de ne rien dire jusqu’à ce que… Où est votre père ? où est don Ignacio ? À faire sa ronde dans ses propriétés ? Il a raison ; ces promenades sont nécessaires à sa santé. Don Ignacio a le sang vif ; il est porté à l’exaltation, et prompt à se mettre en colère… Ces hommes sanguins s’enflamment comme la poudre ; ils ont le cœur sensible, ils sont expansifs et affectueux, mais il leur est impossible de raisonner de sang-froid.

En parlant ainsi, le docteur se promenait de long en large dans le salon. Luisa l’écoutait avec étonnement débiter ses aphorismes ; Mercedès, gênée par sa présence et un peu effarouchée de la hardiesse de ses paroles, le regardait du coin de l’œil en cachant son visage derrière l’éventail. Au même instant, un bruit de pas se fit