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mêla ces matériaux : des noms de consuls, de personnages fameux, ceux même des Amazones, devinrent sous sa plume grossière des noms d’auteurs, et il créa de la sorte une compilation qui, malgré sa forme aride et son obscurité, est un des plus précieux monumens du moyen âge, grâce aux matériaux à l’aide desquels elle a été composée. Suivant ce barbare, les régions sont disposées sur le bord d’un océan infranchissable qui les enveloppe de son large circuit, et elles présentent dans leur ensemble l’aspect d’une vaste horloge dont le soleil éclaire successivement les divisions. Dans la partie inférieure du cadran se trouvent les douze heures du jour, chacune répondant à une région, et dans la partie supérieure les douze heures de la nuit. Six vents soufflent par les régions de la nuit et six par les régions du jour. Si le soleil qui s’éteint à l’occident reparaît le lendemain à l’orient, c’est parce que, durant la nuit, il a suivi du côté du nord un invisible chemin sous l’océan.

Voilà où en fut la géographie jusqu’au jour où le mouvement des croisades, entraînant les hommes au-delà des limites étroites dans lesquelles ils vivaient, les jeta hors des vaines spéculations dans la pratique des voyages. Les Arabes, dans l’éclat de leur puissance, sillonnaient le monde; les hommes du Nord, sans se soucier de la forme de la terre, lançaient leurs barques aventureuses jusqu’aux rivages qui sont l’avant-garde de l’Amérique. Colomb, cherchant les Indes, trouva le nouveau continent; les Portugais doublèrent l’Afrique, et Magellan fit le tour du monde. Les temps modernes donnaient la main à l’antiquité par-dessus le moyen âge pour renouer la chaîne des saines traditions, et le grand mouvement de conquêtes scientifiques, d’industrie, de colonisation, qui fait la gloire de notre temps, était inauguré.

Pénibles efforts, intuitions du génie, réactions de l’ignorance, longs retards, telle a donc été l’histoire de la connaissance du globe. La vérité a été éclipsée longtemps, mais ne nous plaignons pas : les idées qui s’élaboraient dans quelques têtes ingénieuses et sages, les recherches des savans et des voyageurs n’ont pas été vaines, puisque, mesurant aujourd’hui d’un regard les vastes hémisphères qui s’étendent entre les deux extrémités de notre diamètre terrestre, nous pouvons de Paris et de Londres, foyers de la civilisation contemporaine, écouter à notre aise le bruit de la barbarie qui s’éteint et des sociétés qui s’efforcent de naître au pays des antichthones, dans la Tasmanie et dans la Nouvelle-Zélande.


I.

La Tasmanie se rattache entièrement par sa constitution physique à la partie orientale de l’Australie, et la chaîne de montagnes qui la