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ces hommes sont des ennemis sanguinaires et implacables dans leur vengeance, ils peuvent être aussi des amis dévoués et courageux. De leur côté, les Zélandais étudièrent les Européens et surent les apprécier ; ils se montrèrent reconnaissans des dons en plantes et en animaux que ceux-ci firent à leur sol ; puis, comme ils virent que leur supériorité la plus réelle consistait dans la possession des armes à feu, ils n’épargnèrent rien pour s’en procurer. Dans l’origine, ils donnaient jusqu’à douze cochons et des centaines de corbeilles de patates pour un seul fusil.

À partir de ce moment, les rapports furent tantôt bienveillans et tantôt hostiles. Les Zélandais se prêtaient volontiers aux échanges ; mais un coup, un meurtre, de la part de ces matelots de baleiniers et de vaisseaux marchands, toujours prompts aux rixes et aux brutalités, devenait le signal d’une série de boucheries humaines. Toutefois, dans ces circonstances même, des blancs ont été épargnés, et il y a deux ou trois exemples d’Européens ayant vécu dans l’île tatoués et soumis aux usages des Zélandais. En janvier 1826, le capitaine d’un brick américain, faisant le commerce dans les mers du sud, avait touché à une des côtes orientales de la Nouvelle-Zélande. Six hommes montèrent à son bord dans le costume indigène ; quel ne fut pas son étonnement en voyant à l’un d’eux des cheveux blonds et une peau blanche sous le tatouage qui la recouvrait ! « Un Zélandais blanc ! » s’écriait-il, quand l’autre, en bon anglais, s’empressa de lui apprendre qu’il avait échappé, il y avait dix ans, au massacre d’un équipage, et que depuis ce temps il avait vécu parmi les sauvages ; il ajouta que ceux-ci avaient projeté de saccager le brick, et que le capitaine n’avait rien de mieux à faire que de repartir promptement ; il demanda à être emmené et pria qu’on renvoyât sans leur faire de mal ses cinq compagnons, qui étaient un fils de chef et quatre esclaves. Cet homme était John Rutherford, dont les aventures ont eu un grand retentissement en Angleterre.

Rutherford était embarqué sur l’Agnès, bâtiment américain de quatorze hommes d’équipage, commandé par le capitaine Coffin, et faisant le commerce de l’écaille de tortue et des perles dans les îles du Pacifique. Après avoir touché à l’embouchure de la Tamise, rivière qui coule du sud au nord dans Eaheïno-Mauwé, l’île la plus septentrionale du groupe, le bâtiment avait été porté par les vents et les courans vers l’extrémité nord-est de l’île. Là il trouva une belle et vaste baie, qui peut bien être Poverty-Bay de Cook, et dans laquelle le capitaine jeta l’ancre, ayant grand besoin d’eau. Il avait à peine mouillé que de tous les points de la côte accoururent des pirogues manœuvrées par une trentaine de rameurs. Ce jour-là, peu d’hommes montèrent à bord ; mais les femmes s’entassèrent sur le