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pont, s’offrant aux matelots pour quelques bagatelles et dérobant tous les objets qui étaient à portée de leurs mains. Le lendemain, un chef du nom de Aimi aborda l’Américain, avec une pirogue de guerre longue de soixante pieds, montée par cent hommes et chargée d’ustensiles, d’armes et de nattes qu’il apportait, disait-il, pour commercer. Après quelques échanges, le capitaine, qui n’était pas sans inquiétude, craignant de dégarnir le bâtiment d’une partie de son équipage, demanda par signes à Aimi s’il voudrait se charger d’aller chercher de l’eau. Celui-ci y consentit: pendant ce temps, nombre de naturels affluèrent encore, apportant des porcs et des racines de fougère. Jusque-là on n’avait à se plaindre que des vols des indigènes, ils avaient dépouillé l’arrière du bâtiment d’une partie de son plomb et enlevé tous les clous à un canot; néanmoins le capitaine réglait son compte avec le chef pour le transport de l’eau, il lui donnait deux mousquets, de la poudre et du plomb. Il y avait à bord plus de trois cents indigènes armés de leurs merys; on appelle ainsi une pierre plate, de couleur verte, longue d’un pied, qui se termine à une extrémité par une poignée, à l’autre par un double tranchant, et dont ces sauvages se servent pour frapper sur l’occiput et sur le cou. À ce moment, de grands feux brillèrent sur les hauteurs, et les naturels se montrèrent en foule sur le rivage. Le capitaine, de plus en plus effrayé, commanda les manœuvres pour le départ; les hommes s’étaient élancés dans la mâture, et le capitaine restait seul sur le pont avec le coq et le maître, quand le chef zélandais se dressa de dessus la natte qui lui servait alternativement de siège et de manteau, brandissant son tomahawk et entonnant un chant de guerre; les autres bondirent à son exemple, entièrement nus, et se livrèrent à une danse furieuse. Un sauvage se glissa derrière le capitaine, qui était penché vers son compagnon, le frappa sur le derrière de la tête et le tua. Le coq voulut se mettre en défense, il fut en un instant massacré; le maître tenta de s’élancer sur une échelle, il reçut un coup sur la nuque qui le fit tomber, sans le tuer tout de suite; puis des sauvages se précipitèrent contre la porte de la cabine, tandis que d’autres montaient dans les agrès pour en faire descendre le reste de l’équipage. Deux matelots se jetèrent à la mer et furent ramassés par les pirogues; les autres ne firent pas de résistance: on les dépouilla de leurs couteaux, de leurs boîtes, de leurs pipes, on leur lia les pieds et les mains, et on les entassa dans une pirogue avec les deux cadavres et le maître, qui râlait horriblement. La pirogue se dirigea vers la terre, et durant tout le trajet un sauvage, agenouillé sur le maître, léchait le sang qui coulait de sa blessure. Les femmes restées à bord coupèrent le câble et gagnèrent la rive à la nage; les voiles avaient été tranchées à coups