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leurs majestés étant retournées à Potsdam, Frédéric et sa femme restèrent les seuls maîtres de ces aimables lieux, dont ils allaient enfin librement goûter les charmes en compagnie de quelques amis délicats et raffinés.

Dès l’origine, on trouve le chevalier de Chasot installé à Rheinsberg en qualité de boute-en-train, dirigeant toutes les entreprises, qu’il s’agisse d’un bal ou d’une chasse à courre, d’un spectacle ou d’une mascarade, et se mêlant aux plaisirs du prince, qui la plupart du temps l’associe à ses travaux, et ne perd pas une occasion de raconter à ses correspondans ordinaires le détail des faits et gestes du joyeux chevalier. La chronique de cette petite cour de Rheinsberg ne se retrouve plus guère aujourd’hui que par bribes, et comme disséminée à travers les mille correspondances du temps. C’est en vérité grand dommage, car il y avait là des élémens à foison. Que d’aimables riens et de piquantes anecdotes se sont ainsi perdus faute d’un Dangeau pour les enregistrer! Tant de physionomies diverses allant et venant, tant de caractères plus ou moins originaux offraient à l’œil de l’observateur de curieuses particularités ! Ajoutez des distractions continuelles, bals, concerts, spectacles de société, qui faisaient s’entrechoquer tous ces amours-propres. «Nous nous divertissons de rien, écrit Frédéric à sa sœur de Baireuth (février 1737), et n’avons aucun soin des choses de la vie qui la rendent désagréable et qui jettent du dégoût sur les plaisirs : nous faisons la tragédie et la comédie; nous avons bal, mascarade et musique à toute sauce. Voilà un abrégé de nos amusemens. » Mais les représentations théâtrales font surtout la grande occupation de cette cour. Dès qu’il s’agit de mise en scène et de rôles à distribuer, le prince de Prusse est tout zèle et tout flammes. Les soirs où chôment le spectacle et le bal, il y a d’ordinaire concert : la chapelle du prince, composée des meilleurs artistes du temps, se réunit, et les quelques élus admis par invitation spéciale goûtent, entre autres jouissances, l’ineffable bonheur d’entendre Frédéric exécuter sur la flûte traversière tantôt un air de sa composition, tantôt divers morceaux de Quantz, de Hasse ou de Graun.

Si les séances musicales n’ont guère lieu qu’en très petit comité, en revanche au dîner figurent sans restriction et toute la cour et tous les hôtes du théâtre. «Nous avons assez nombreuse compagnie ici, écrit Frédéric à sa sœur pendant l’hiver de 1737. Quand nous sommes rassemblés, notre table est ordinairement de vingt-deux à vingt-quatre couverts. Brandt, M. Kannenberg avec son épouse, Keyserling, le jeune Grumbkow, un certain capitaine Kalnein, quelques officiers de mon régiment, Chasot et Jordan composent notre société. » Après le dîner, le prince et la princesse se retiraient dans