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main les instructions les plus précises au sujet des soins à prendre pour maintenir la demoiselle en belle humeur. Multiplier les complimens et les flatteries, ne rien épargner pour tromper les ennuis de la route, et célébrer sur tous les tons à la jolie voyageuse les beautés de la capitale, les pompes de la cour et la magnificence du grand monarque qui s’apprêtait à la recevoir, tel était le programme auquel maître Mayer se conforma de son mieux et sans trop d’encombre, du moins jusqu’à Goritz. Là, comme on relayait, notre honnête homme d’intendant vit tout à coup apparaître à ses yeux lord Stuart. Ménélas, en compagnie d’un nombreux domestique, arrivait pour délivrer Hélène. Cependant, avant d’en venir aux mains, le courtois chevalier offrit de payer à prix d’or la rançon de la captive; mais l’intendant fut incorruptible et répondit aux propositions du jeune seigneur britannique par une attitude de nature à justifier la confiance qu’on avait placée en lui. En face d’un si sublime désintéressement, lord Stuart comprit qu’il n’avait plus qu’à recourir aux grands moyens, et tandis que ses gens précipitaient le cocher à bas de son siège, il se mit à faire pleuvoir les coups de canne sur le dos de Mayer, Malheureusement pour sa seigneurie, la police était sur ses gardes. Aux premiers cris de la victime, la force armée accourut, et lord Stuart, conduit chez le commandant militaire, ne recouvra sa liberté qu’après avoir signé l’engagement de ne plus arrêter les diligences. Les rapports de Mayer au comte Dohna disent que la danseuse « reprit sa route, mais fort troublée par cet événement et se mourant presque d’amour et de chagrin. »

Le ministre de Prusse à Vienne avait à peine eu le temps d’être mis au courant de l’aventure, qu’un beau matin lord Stuart tombe chez lui, et réussit à l’émouvoir tellement au récit de sa flamme et de ses infortunes, qu’il en obtient un passeport pour Berlin, et, mieux encore, une lettre de recommandation pour l’un des ministres de Frédéric, M. de Podewils, à l’aide duquel notre amoureux espère bien arriver jusqu’au roi. Hélas ! jamais héros de roman n’eut plus mauvaise chance. Tandis qu’on se le renvoyait de chancellerie en chancellerie, tandis qu’il bridait le pavé des routes pour regagner les momens perdus, Barbarina débutait à Berlin aux applaudissemens frénétiques de toute la cour, et le roi, charmé par les talens et la beauté de la danseuse, et sans doute aussi piqué au jeu par tout ce qui venait de se passer dans l’avant-scène, s’inscrivait en tête de ses adorateurs. L’instant, on l’avouera, était bien choisi pour essayer d’attendrir Frédéric. Lord Stuart, avec cette imperturbable étourderie particulière aux amoureux, vint donner tête baissée dans la muraille, et s’y rompit le crâne. Dans ce jeune pair d’Angleterre réclamant à tous les échos sa maîtresse ou sa femme, le roi ne