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stant (8 avril), de son quartier-général de Meissen : « J’accepte volontiers, cher de Chasot, la recrue qui vous doit son être, et je serai parrain de l’enfant. Nous tuons les hommes tandis que vous en faites! » Et Chasot, tout fier de l’illustre compérage, de répliquer avec enthousiasme : « Si ce garçon me ressemble, sire, il n’aura pas une goutte de sang dans les veines qui ne soit à vous. » Cependant les événemens devaient bientôt interrompre ces douces joies de la famille. Jusqu’alors, la ville de Lubeck et son territoire avaient à peine ressenti le contre-coup de la guerre; mais l’année 1762 allait amener de nouvelles complications qui, en menaçant l’existence d’un pays qu’il avait reçu commission de défendre, ne pouvaient manquer de réveiller dans l’époux et le père tous les vieux instincts du soldat.

Le 5 janvier 1762, l’impératrice Elisabeth de Russie étant morte, le duc Charles-Pierre-Ulrich de Holstein-Gottorp prit la couronne sous le nom de Pierre III. On sait quel subit revirement produisit ce changement de règne, et comment le nouveau souverain, uniquement préoccupé d’abord de l’idée d’arracher au Danemark les états du Slesvig, n’eut rien de plus pressé que de se rapprocher du roi de Prusse, dont l’impératrice Elisabeth s’était toujours montrée l’adversaire acharnée, et de conclure avec lui un armistice qui presque aussitôt fut suivi d’un traité d’alliance offensive et défensive. En conséquence de ces dispositions, les troupes russes qui se trouvaient sur le territoire prussien reçurent dès le mois de mars l’ordre de suspendre les hostilités, et le maréchal Wolkonski, dont le corps d’armée occupait une partie de la Poméranie, eut à se rendre dans les états de Holstein, où le prince George-Louis de Holstein-Gottorp, oncle du jeune empereur, exerçait le commandement général.

De son côté, le Danemark se préparait vigoureusement à la lutte, et c’était encore un Français qui présidait là comme ministre de la guerre à la levée des troupes, à l’approvisionnement des forteresses, à l’augmentation et à l’armement de la flotte. Où les Français n’étaient-ils pas à cette heure? dans les conseils des rois et des nations, à la tête de leurs armées, de leurs écoles, soldats, marins, financiers, diplomates, philosophes, vous les retrouvez partout dans le monde, toujours prêts à donner au pays qui les appelle ou les accueille cette intrépide activité, cette puissance initiatrice, progressive et sociable, dont au début d’un autre siècle, quand un niveau de civilisation et de culture intellectuelle régnera égal à peu près sur toute l’Europe, on les verra s’en aller porter les trésors jusque chez les radjahs indiens. Avant d’organiser les armées de terre et de mer du roi de Danemark, le comte de Saint-Germain avait été ministre du roi de France, et c’était faute de pouvoir s’entendre avec Mme de