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gieuses de notre cœur après avoir chanté les autres sentimens naturels, combien sa voix sera plus pénétrante et sa prédication plus efficace! Les poètes qu’a rassemblés M. Simrock, Walther de Vogelweide, Gottfried de Strasbourg, Conrad de Wurzbourg, sont en cela d’excellens modèles : ils n’écrivaient pas leurs hymnes pour un couvent, mais pour l’Allemagne chrétienne; ils se gardaient bien aussi de répéter des litanies sans fin : ils célébraient le printemps, la guerre, la patrie, et de même qu’au milieu d’une vie active l’âme se recueille et s’élève à Dieu, de même au milieu de leurs chants éclatent par instans des strophes religieuses. Voilà les poètes qui parlent dignement du ciel, et qui savent y conduire les âmes; quant à ceux qui chantent pour telle petite coterie, pour les piétistes de Berlin, pour les ultramontains de Munich, pour les abonnés de la Gazette de la Croix ou des Feuilles historiques et politiques, plus ils accumulent de vers sur les dogmes chrétiens et les vertus théologales, moins il m’est possible de croire à l’efficacité de leur inspiration. Cet avis s’adresse à la plupart des poètes catholiques ou protestans qui ont paru dans ces dernières années. Si l’un d’entre eux, M. Julius Sturm, cœur chrétien et libéral, glorifie l’Évangile dans la langue du XIXe siècle, combien d’autres ne font que propager l’esprit de secte !

Les nouveau-venus ne brillent guère; revenons à des écrivains dont la place est déjà faite, et qui essaient de l’agrandir encore. Les poètes les plus distingués que nous présente aujourd’hui la littérature allemande sont ceux dont les débuts remontent à une quinzaine d’années. En voici plusieurs qui ne veulent pas se laisser oublier : M. Hermann Lingg, M. Maurice Hartmann, M. Paul Heyse, M. Emmanuel Geibel, M. Frédéric Bodenstedt. Ce qui les distingue de la foule, c’est le souci de la forme, le culte de l’art, le goût des traditions littéraires de leur pays uni à la recherche empressée des choses nouvelles. Y a-t-il chez eux quelque grande inspiration qui puisse saisir vivement les intelligences et rendre à la poésie une légitime action ? Je ne le pense pas. Ils charment les lettrés, les délicats, les esprits fins et curieux; la nation les connaît peu, la conscience publique ne vibre pas à leurs accens. Même dans cette Allemagne contemplative, il faut des voix plus fortes pour vaincre l’indifférence et dominer les préoccupations matérielles. On a beaucoup parlé des poésies de M. Hermann Lingg[1]. Un souffle épique anime par instans ses strophes inspirées; l’auteur parcourt à grands pas l’histoire depuis les temps antiques jusqu’aux siècles modernes, et dessine à larges traits d’énergiques ébauches qui rappellent les

  1. Gedichte von Hermann Lingg; 1 vol., 5e édition; Stuttgart et Augsbourg 1857.