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l’unité nationale; le port où elle se trouve forcée de rester immobile, c’est la situation qui lui est faite depuis les secousses de 1848, situation tranquille, mais qui engourdirait les âmes, si une salutaire inquiétude n’en combattait l’influence. Enfin la Paysanne parvenue et les Quatre Facardins, c’est le marivaudage de sa littérature actuelle. L’Allemagne, d’un air distrait, écoute un instant ses conteurs et ses poètes, puis elle demande de quel côté souffle le vent.

Si quelques écrivains, plus avisés que les autres, semblent avoir compris ce triste état des lettres germaniques, ils proposent d’étranges moyens pour y remédier. Il y a près d’un siècle, après le premier essor de la révolution littéraire, après les premières victoires de Klopstock et de Lessing, il y avait eu comme un temps d’arrêt dans le mouvement des esprits. Wieland avait la parole, et l’élégance apprêtée, l’éclat superficiel de ses écrits faisaient un peu oublier les inspirations du génie national. Une réaction énergique était devenue nécessaire; elle éclata bientôt. De juvéniles intelligences entreprirent de relever hardiment l’inspiration germanique en face du dilettantisme de Wieland : c’est le groupe fameux des poètes de Goettingue, Hoelty, Voss, Burger, Hahn, les deux Miller et les deux comtes de Stolberg. Cette conspiration poétique avait presque les allures d’une société secrète. Le 12 septembre 1772, six d’entre eux se réunissent dans une forêt de chênes, et prêtent serment à l’amitié, à la poésie, à la vertu; la société était fondée. « Tous les sentimens nobles, dit très bien M. Gervinus, étaient vivans dans leur âme, souvent d’une manière touchante, souvent avec une exaltation à demi comique... Klopstock était leur saint; ils vénéraient en lui l’homme, le philosophe, le chrétien, l’Allemand et le poète. Ils célébraient religieusement l’anniversaire de sa naissance. En 1773, ce fut dans une chambre; sur le fauteuil du poète, qui était demeuré vide, on voyait ses œuvres chargées de couronnes, et au-dessous du fauteuil gisait par terre un des ouvrages de Wieland, Idris, avec ses feuillets lacérés. On le déchira encore pour allumer les pipes; on but du vin du Rhin avec des toasts à Klopstock, à Luther, à Hermann, à la société de Goettingue, à Herder et à Goethe. En 1774, la fête eut lieu à la belle étoile. » — « Nous allâmes, dit Hahn, sous le chêne à l’ombre duquel nous avions prêté notre serment, afin d’en cueillir quelques rameaux; nous appelâmes trois fois Klopstock notre père; un frémissement soudain agita le chêne de la cime jusqu’au tronc, et les branches s’inclinant enveloppèrent nos têtes... » Cette conspiration poétique, ces sermens de germanisme prononcés sous les chênes, tous ces souvenirs de Goettingue reviennent à l’esprit des Allemands chaque fois qu’il faut prendre un élan vigoureux et se soustraire à une influence énervante. Un ar-