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subissent. Cette justification d’ailleurs serait impossible aujourd’hui. D’heureux événemens se sont accomplis dans le pays qui marche à la tête des états germaniques. « Depuis dix ans, s’écriait M. Julien Schmidt à la fin du mois de décembre 1858, depuis dix ans, voici la première nuit de Noël où le peuple allemand peut enfin saluer une nouvelle année avec une foi virile et une joyeuse espérance. Jamais le lien qui unit la Prusse au reste de l’Allemagne n’a été aussi visible que dans ces derniers mois. Avec quelle vivacité d’impressions l’heureuse nouvelle a été accueillie par les états voisins! Partout, chez l’immense majorité des Allemands, la même émotion, le même jugement sur nos affaires publiques, partout le même espoir et la même allégresse. Nous étions sur la pente rapide qui mène aux révolutions. Et le danger était grand, car nous commencions à perdre la plus sûre garantie qui ait été donnée aux peuples comme aux individus contre les outrages de la brutalité, je veux dire la conscience de nous-mêmes. Elle manquait déjà, cette conscience, à l’armée, à l’administration, à la bourgeoisie, surtout à la noblesse. Les meilleurs d’entre nous couraient le risque de tomber dans un découragement inerte; la foule s’était enfermée en murmurant dans l’égoïste souci des intérêts les plus vulgaires; nous ressemblions tous à des vieillards... Le nouveau ministère nous a sauvés de la mort. »

Le grand fait que M. Julien Schmidt annonce en ces termes enthousiastes, c’est la transformation de la Prusse au mois de novembre 1858, l’avènement du fière du roi à la régence, la retraite d’une camarilla détestée, la nomination d’un ministère libéral et résolu à mettre sincèrement en pratique le régime constitutionnel. Puisque l’état général de l’Allemagne, toujours dominé plus ou moins par la situation politique de Berlin, a pu fournir un prétexte d’inertie à des esprits pusillanimes, le réveil de la Prusse ne sera-t-il pas un signal de rénovation intellectuelle? Nous aimons à le croire, et notre dernier mot sera une parole d’encouragement et d’espérance. Ce n’est pas une intention dénigrante qui nous a dicté ces pages; notre sévérité au contraire atteste nos sympathies. Si les nations européennes au XIXe siècle sont encore divisées par les questions politiques, les lettres doivent les unir; la sainte-alliance qu’a célébrée le poète a surtout pour ministres les représentans de la pensée. Chacun des peuples qui forment cette grande association libérale a le droit de dire à son voisin : « Dormez-vous? veillez-vous? » car chacun d’eux cherche à se compléter par l’étude des littératures étrangères, et quand son espérance est déçue, l’avertissement qu’il formule n’est pas un blâme hostile : c’est le cri de la sentinelle au sein de la nuit.


SAINT-RENE TAILLANDIER.