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et chez les Hellènes. On peut la considérer comme une application, de cette foi en l’efficacité du sacrifice qui est la base de toutes les religions de la nature, et que le christianisme a sanctionnée. Roumains, Grecs et Serbes n’ont-ils pas raison de proclamer que les nations comme les individus ne grandissent que par le dévouement et par l’abnégation ? Manoli livrant aux exigences de la destinée tout ce qu’il a de plus cher n’est-il pas une figure expressive de ce peuple roumain qui, placé aux avant-postes de l’Europe chrétienne, a versé pour la sauver de la barbarie musulmane le plus pur de son sang ? S’il est devenu maintenant comme une ombre de lui-même, n’est-ce point qu’il s’est vu au XVe siècle obligé par la défection de ses voisins de subir la suzeraineté de l’islamisme ? Mais avant de succomber sous les coups de ses ennemis, qui pourtant n’ont jamais pu la réduire en servitude, la Roumanie devait avoir des jours glorieux. Dans ces combats mémorables, les soldats de la Valachie ont joué un rôle énergique, et ce n’est pas sans raison que le plus célèbre de ses poètes contemporains, M. Héliade, a vanté leurs exploits :


« Mircéa a rassemblé ses phalanges guerrières, sa voix a retenti, et Mourad vaincu se retire humilié ! La Roumanie est libre des Karpathes à l’Ister, et le Danube, témoin de cette lutte glorieuse, a cru voir les Romains renaître sur ses bords.

« Ici flottent les étendards libres et victorieux de Michel, le brave des braves. Sur ses pas triomphans accourent ces guerriers, vrais enfans du Capitole. Buzesco sème l’épouvante parmi les Tartares ; à ses pieds, l’orgueilleux khan mord la poussière. Kalophiresco marche sur ses traces et cueille dans les champs de l’honneur ses plus beaux lauriers.

« L’autel s’écroule sous des coups redoublés ; mais, s’armant de la croix, signe du triomphe, Farkas ranime le courage de l’armée, et devient le bras vengeur que Dieu même soutient. L’aigle roumaine prend son vol au-delà de ces monts qui lui restent soumis, et rien ne borne plus son vol impérieux. »


Il ne faut pas chercher en général dans la poésie populaire des souvenirs très précis ; cependant on y trouve un admirable sentiment de la réalité. Les peuples que les Roumains ont dû combattre sont caractérisés avec une vérité que l’historien lui-même pourrait envier. Les terribles pasteurs au teint jaune, que les steppes de l’Asie septentrionale ont vomis sur l’Europe et qui l’ont fait trembler au temps d’Attila, de Batou-Khan, fils de Gengis-Khan, et de Timour-Leng, ont causé des maux infinis avant et après l’arrivée des Turcs, qui appartiennent, comme eux et les Magyars, à la famille ougro-tatare ou touranienne. S’ils ont inquiété la France au siècle de Louis IX, la France, que son éloignement et ses res-