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tombe sur une bande de brigands, a tous Hongrois de cœur, » com- mandés par Ianock, le vieux Magyar à la barbe hérissée et au cœur d’acier. Sans s’effrayer de leur nombre, Mihou le Moldave les charme d’abord par « un chant fier et beau, un vrai chant de brave.» Il provoque ensuite Ianock à la lutte, le soulève, le jette à terre et lui tranche la tête; puis, se tournant vers les «autres Hongrois» frappés d’épouvante : « Vous, les valeureux, dit-il, — vous, les Haramins ! — celui de vous qui — pourra soulever — ma lourde massue, — lourde comme elle est, — et ma carabine, — lourde comme elle est, — et toutes mes armes, — lourdes comme elles sont, — que celui-là vienne — pour fraterniser, — et faire avec moi — le métier de brave — dans les bois profonds! » — Tous les Hongrois ayant échoué, « Mihou le vainqueur, — de son petit doigt — soulève les armes — et reprend sa route. »

Les Roumains de la Transylvanie étaient restés libres jusqu’au Xe siècle. Vaincus par les fils d’Attila à Gyula, ils furent soumis au servage par les Magyars et par les Szeklers[1]. Ces deux peuples belliqueux s’habituèrent à traiter les descendans des colonies romaines comme une race inférieure. Lors même qu’ils eurent paru abdiquer leur nationalité en se donnant à l’Autriche, ils continuèrent d’exciter le ressentiment des Roumains par leur intolérable orgueil. A la fin du XVIIIe siècle, à l’époque où la France allait être régénérée par sa mémorable révolution, en 1784, un paysan nommé Horâ osa méditer la délivrance de sa race. Ce pâtre illettré voulait réunir en un seul corps les membres déchirés de la vieille Roumanie. Après avoir satisfait aux colères séculaires de ses compatriotes par de terribles exécutions, il prit le titre significatif d’empereur de la Dacie. Le « césar de Vienne » vit d’abord avec une joie secrète l’humiliation des fiers Magyars; mais, lorsque Horâ ne craignit pas d’avouer l’étendue de ses projets, Autrichiens et Magyars se réunirent contre les paysans roumains, et le 28 février 1785 Horâ et Clasca, son lieutenant, expiraient sur la roue. On voit encore dans quelques chaumières transylvaines le portrait de «l’empereur de la Dacie » avec cette mélancolique inscription : Hora be ai hodineste, — t’era plange si plateste[2].

Notre siècle réservait un vengeur aux insurgés de 1784. Abraham Ianko, le « roi des montagnes, » fils d’un riche paysan, avait d’abord été destiné à l’église. Reçu avocat, il se retira parmi les montagnards, afin de réveiller parmi eux le sentiment national. M. Papiu Harianu, l’historien des Roumains de la Haute-Dacie, a raconté

  1. Autre peuplade touranienne qui a précédé les Magyars en Transylvanie.
  2. « Horâ boit et se repose (maintenant). — La patrie gémit et paie. »