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complots, prêts à rentrer avec effraction dans leur pays à la première occasion; tout au moins s’en vont-ils, semblables à leurs aïeux les guelfes et les gibelins, exciter les inimitiés du monde contre les pouvoirs dont ils ont essuyé les rigueurs.

Ainsi se forme cette Italie errante et proscrite qui est partout aujourd’hui, et qui, sans être absolument une "nouveauté, est un des phénomènes les plus extraordinaires de ce temps. Rossi lui-même, avec sa vie aventureuse illustrée par le talent, glorieusement couronnée par une fin héroïque, Rossi ne fut-il pas le type le plus élevé de l’exilé italien moderne, assez prodigieusement habile pour conquérir en France le droit de s’imposer à ceux qui l’avaient proscrit? Quant aux autres émigrés de l’Italie, où ne sont-ils pas aujourd’hui? Il y en a dans l’Inde et en Amérique; il y a des soldats et des prêtres, des nobles et des artisans, des écrivains et des industriels. Ils sont de toutes les classes et ils viennent de tous les pays de la péninsule, — si ce n’est du Piémont, devenu lui-même terre de refuge, terre libre désormais. Une des plus curieuses histoires serait celle de tous ces bannis, de tous ces vaincus, tribu nomade et embarrassante où les esprits honnêtes sont trop souvent confondus avec les conspirateurs vulgaires, et ont à redouter cet autre supplice que Dante leur prédisait de son temps : « Le poids le plus insupportable pour toi, ce sera la société mauvaise et désunie avec laquelle tu tomberas dans la vallée de l’exil. Cette société, pleine d’ingratitude, de déraison et d’impiété, se tournera contre toi... » Chaque révolution, disais-je, a eu son alluvion d’émigration. Comptez en effet depuis le commencement de ce siècle : 1815 eut des exilés, et 1821 fit aussi des victimes en plus grand nombre. Les mouvemens qui suivirent 1830 multipliaient encore les bannis, et après les amnisties de 1846 et 1847 les révolutions dernières sont venues rouvrir l’ère fatale des grandes fuites et des expatriations. Ne voyez-vous pas aujourd’hui même un épisode de cette cruelle histoire dans ce convoi d’exilés napolitains expédiés vers l’Amérique, et faisant un suprême effort en pleine mer pour regagner les côtes d’Europe ?

Ces expatriés de toutes les époques ne furent pas cependant ou ne sont pas tous des coupables. Il y a sans doute des natures violentes que l’exil pervertit. Qui ne sait aussi que parmi tous ces réfugiés, qui se sont succédé dans la proscription, il y en eut souvent qui auraient pu être la force et l’orgueil d’une Italie moins violemment organisée, qui représentaient l’élite, la fleur d’une génération? C’est de cette élite d’une génération décimée par l’exil qu’était un Italien mort ces dernières années à Turin, le général Giacinto Provana de Collegno, — un émigré du temps où le Piémont avait des