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M. de Collegno n’a laissé à nul autre le soin de la dévoiler; il l’a retracée lui-même dans des pages mises récemment au jour sous le titre de Journal d’un Voyage en Espagne en 1823 et Journal du Siège de Navarin, deux fragmens, deux petits livres qui pourraient aussi bien s’appeler Journal des pérégrinations et des désabusemens d’un émigré. M. de Collegno n’a point évidemment des prétentions d’écrivain; il raconte seulement comme un galant homme qui décrit jour par jour ses impressions avec sincérité, qui voit les choses et les hommes non sous le prisme de couleurs artificielles, mais tels qu’ils sont, et qui laisse percer dans ses récits je ne sais quel mélange d’imagination et d’ironie, d’élévation morale et de causticité indépendante. Ce soldat, qui a été formé à la rude école de la grande armée, a un sentiment très fin des contrastes de la vie, des ridicules humains aussi bien que des nuances locales des mœurs et des beautés naturelles.

Rien n’est plus curieux à distance que ces impressions d’un émigré, souvenirs d’un temps évanoui avec tous ses bruits et ses rêves, rapides peintures retracées en courant par un homme que la fortune des révolutions jetait dans des mêlées où il jouait sa vie avec un dédain sans faste. M. de Collegno arrive en Espagne par le Portugal, croyant aller se battre sérieusement pour la liberté, et bientôt il en vient à ne plus se méprendre sur toute cette agitation constitutionnelle de la Péninsule, qui n’était imposante que de loin. Il voit une révolution impuissante, un gouvernement sans nerf, des partis qui se querellent, un pays à peu près étranger aux querelles des partis, des réfugiés accourus de tous côtés comme à un rendez-vous de bataille, le sentiment national en défiance contre ces auxiliaires suspects, puis enfin beaucoup de bruit et nul préparatif militaire sérieux contre l’expédition française menaçante. M. de Collegno avait eu déjà le temps de se familiariser avec ce monde des émigrés qu’il allait rencontrer en Espagne, et qu’il retrouvait dès son débarquement à Lisbonne sous les formes les plus diverses ou les plus bizarres : un Français négociant des emprunts remboursables par la France régénérée, un Grec envoyé par l’insurrection hellénique, un Italien cherchant partout des soldats, tous faiseurs de projets politiques et occupés à sauver l’Europe. « L’Italien, ajoute M. de Collegno, est le plus hardi dans ses spéculations politiques; je l’ai trouvé aujourd’hui plein d’espérance. Dans ces deux ans d’émigration, me disait-il, je n’ai cessé de travailler pour notre pays... Hume est mon ami, et il m’a promis de proposer au parlement anglais une loi qui autorise en Irlande l’enrôlement pour l’extérieur. Voilà maintenant mon projet : j’écris à Londres pour qu’on mette aussitôt la main à cette loi d’enrôlement. Le commerce italien de Lisbonne me fournit