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nouvelle. Ne pouvant plus être soldat, il chercha le genre de travail d’esprit le mieux fait pour lui convenir. Il choisit d’abord la botanique, qu’il alla étudier avec M. de Candolle, auprès de qui il était allé habiter à Genève. L’activité du botaniste explorateur, les courses dans les montagnes et dans les vallées plaisaient encore à ses habitudes militaires. Après avoir étudié la botanique avec M. de Candolle, qui l’avait associé à ses travaux, il se mit à faire de la géologie avec M. Élie de Beaumont, à Paris, où il avait fini par venir se fixer. Cet homme, qui avait été de la retraite de Russie, qui avait vécu dans l’intimité des princes, se fit écolier; il prit ses grades, jusqu’aux plus élevés, dans l’université, et il devint pendant quelques années professeur de géologie et doyen de la faculté des sciences de Bordeaux. M. de Collegno a laissé des travaux scientifiques précieux et estimés sur les élémens de la géologie, sur les terrains des Alpes lombardes, sur la carte géologique de l’Italie, sur l’action destructive de la mer dans nos landes. C’est ainsi qu’il fit honorer ce titre d’émigré, le plus lourd à porter peut-être, car il est sans compensation et sans gloire.

C’est qu’en effet Collegno, par son origine, par ses instincts, par la supériorité de son esprit, n’était nullement de la race des émigrés vulgaires. Il était l’un des premiers dans ce groupe de l’exil qui a longtemps représenté les idées d’indépendance et de libéralisme modéré, et auquel se rattachait un autre Italien, le comte Pietro Ferretti d’Ancône, dont M. Massimo d’Azeglio esquissait aussi récemment la biographie. Esprit positif et sensé, Ferretti n’avait point été soldat comme Collegno; mais, comme lui et plus que lui, il avait connu les plus dures vicissitudes de l’exil. Un jour, à Marseille, pressé par une nécessité extrême, il avait été obligé pour vivre de tenir une petite boutique en plein vent. « Mais, lui disait M. d’Azeglio, n’aurais-tu pas pu trouver mieux? Si seulement tu t’étais fait connaître!... — Mon ami, répondait-il avec une sorte de bonhomie, je voulais me tirer d’affaire comme homme et non comme comte Pietro Ferretti, et tu vois que je réussis. Quelque temps après, j’eus la fortune un peu meilleure d’entrer le dernier des derniers dans une maison de commerce. Quant à la dignité du grade, la promotion était peu sensible. J’étais chargé d’aller porter de l’argent en paiement, de faire les commissions et de tenir le bureau en ordre. Le matin, j’allais à la maison qu’habitait le négociant pour chercher la clé, et la mère, une bonne vieille, sais-tu comment elle me donnait cette clé? Elle entrouvrait un peu la porte, et elle me la jetait sur le palier de l’escalier... J’allais au magasin, je mettais tout en ordre, et peu à peu je vis qu’on était content de moi. Il arriva alors qu’un des employés qui tenait la correspondance italienne tomba malade et mourut. Le chef de la maison m’appela dans son