Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur concours à la puissance régulière de l’état et à la liberté du sujet, comme disait la vieille Angleterre, voilà le mémorable tableau que retraçait en 1748 Montesquieu, d’après un modèle vivant dès lors, et aujourd’hui bien grandi, sans être trop changé. On sait quel fut sur les Anglais eux-mêmes le grand effet du livre de Montesquieu. Ils estimèrent davantage une liberté si bien comprise et appréciée si haut par les publicistes d’un peuple rival; ils conçurent d’autant mieux, pour ainsi dire, la théorie de leur propre histoire et la philosophie de ce gouvernement légal, dont ils sentaient surtout les avantages immédiats et pratiques. Un de leurs plus spirituels hommes d’état, lord Chesterfield, rendit cet hommage public à notre illustre compatriote.

En se complaisant à décrire par mille traits caractéristiques le système et l’action du gouvernement britannique, Montesquieu avait ajouté, peut-être pour passeport de ses éloges : « Comme toutes les choses humaines ont une fin, l’état dont nous parlons perdra sa liberté, il périra. Rome, Lacédémone et Carthage ont bien péri. Il périra, lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l’exécutrice. » Il insinuait même, quelques pages plus loin, que ce progrès de corruption commençait à se développer, et que les Anglais n’avaient pas la jouissance actuelle de toute la liberté établie par leurs lois. Cette impression était la conséquence inévitable du bruit que fait la liberté, quand elle est assez bien garantie pour se plaindre hautement de n’être pas encore plus forte. C’était aussi une des suites naturelles de la mauvaise renommée qu’avaient laissée le long ministère de Walpole et son art, disait-on, d’accroître et d’assurer par les abus mêmes de l’administration financière la docilité du parlement.

Se fondant sur cette hypothèse fort exagérée, la philosophie politique prévoyait donc pour l’Angleterre, et comme cause de sa destruction future, un mal tout simplement impossible, tant que la liberté existe dans un pays. De quelle manière en effet et par quel prodige la puissance législative pouvait-elle arriver, devant une presse libre, un jury indépendant et un public raisonneur, à cette corruption dernière et fatale? Était-ce par la situation dépendante et le mutisme complaisant des législateurs? Rien de moins vraisemblable. Toute chose se disait dans les deux chambres anglaises avec une grande et rude liberté, bien qu’on n’imprimât pas encore tous les matins dans les journaux ce qui s’était dit la nuit dans le parlement; mais sous cette réserve, dont la franchise intérieure du débat s’accroissait encore dans les véhémentes paroles d’un Pulteney ou de tel autre, la publicité, plus tardive, plus incomplète, n’était guère moins puissante pour l’esprit anglais. Reproduite avec des anagrammes, ou dans des cadres fictifs, renouvelée par les orateurs