Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paration et de précaution appliqués aux élections de la chambre basse, au choix des chevaliers de comté et des commoners représentant les villes, de grandes plaintes s’élevaient sur les vices et les anomalies de l’ancien système. On le trouvait avec raison chaque jour plus défectueux et plus contradictoire; on y signalait l’injustice et parfois le scandale de ces bourgs-pourris, tantôt sous la dépendance absolue de quelques riches propriétaires, tantôt formés d’un très petit nombre de très pauvres électeurs, qui vendaient leur voix au plus offrant. Ici l’élection était complètement fictive ou mercenaire : ailleurs elle était en apparence très démocratique et tumultuaire, mais également vénale, ou dominée par une seule influence.

A la vérité, quelques avantages semblaient attachés à ces abus mêmes et en sortaient victorieusement. L’extrême diversité, l’origine disparate de l’élection favorisaient l’avènement des mérites et des situations les plus dissemblables. Tel jeune homme de talent sans fortune, encore inconnu, et qui n’aurait pu payer, dans un système d’élection plus populaire, les frais de transport des électeurs au chef-lieu du vote, était nommé sur la recommandation de quelque grand propriétaire whig ou tory. Ailleurs au contraire, toujours à la faveur de ce principe du libre et complet examen, sans lequel le nombre des examinateurs importe peu, un candidat paraissait en personne devant un petit corps de francs tenanciers, de bourgeois établis, de commerçans indépendans. Là, par une solide discussion des intérêts du pays les plus accessibles pour eux, il s’assurait leur adhésion. Ou bien même, dans tel autre district fort différemment organisé, dans telle ville populeuse, dans tel grand quartier de la vieille Cité de Londres, un candidat, fût-il ministériel très connu ou même ministre récemment nommé, se présentait devant quelques milliers d’électeurs, en était très démocratiquement applaudi ou sifflé, et finissait souvent par remporter une laborieuse victoire, que les adversaires d’une réforme systématique et générale ne manquaient pas de citer comme un échantillon suffisant de la liberté britannique. On a vu de nos jours comment M. Canning lui-même, lorsqu’il n’était encore qu’un conservateur énergique autant que spirituel, avait souvent triomphé dans ces luttes, et dominé par sa parole la foule tumultueuse[1], que ses sarcasmes n’épargnaient pas.

Depuis bien des années cependant, la réforme électorale était demandée à grands cris, et par de bonnes raisons. Il avait fallu les prodigieux événemens de la fin du dernier siècle et des commencemens du nôtre pour la retarder si longtemps. C’était précisément un demi-siècle avant l’époque où elle devait triompher que le jeune

  1. Swinish mob.