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de pur amour. C’est la scène du quatrième acte de la Favorite retournée. Le ciel gronde, la terre tremble, et une pluie de feu vient tomber sur la ville d’Herculanum, sous laquelle périssent la reine Olympia, Satan et tous les païens, tandis que de l’autre côté de la scène Hélios et sa fiancée Lilia s’enlèvent vers le ciel avec les chrétiens qui les entourent. Telle est la donnée de ce prétendu drame que se disputent de si nombreux collaborateurs, longue et fastidieuse légende où l’on cherche vainement une touche virile qui décèle la connaissance des mœurs et des caractères que l’on prétend mettre en scène. J’avoue d’ailleurs que je suis un peu de l’avis du vieux Boileau, de ce pédant du XVIIe siècle, qui n’était pas poète, à ce qu’on assure : je n’aime pas qu’on abuse au théâtre des sujets religieux et qu’on y découpe les saintes Écritures en couplets galans. Sans invoquer d’autre autorité que celle du goût, qu’on pourrait définir la raison émue, il répugne de voir s’établir une trop grande promiscuité entre des choses d’ordre si différent et de voir apparaître sur une scène de baladins des personnages consacrés qui depuis dix-huit cents ans représentent l’idéal du monde civilisé. Certes je ne veux pas, selon la belle expression de Bacon, mettre des semelles de plomb à la fantaisie ni interdire à l’art aucun des grands sujets qui touchent aux profondeurs des âmes religieuses ; mais il faut réussir alors comme Corneille dans Polyeucte et comme Racine dans Athalie ; il faut procéder avec adresse comme l’ont fait Voltaire dans Zaïre, Rossini dans Moïse, Meyerbeer dans Robert, les Huguenots et le Prophète. En d’autres termes, pour traduire dans l’art la langue du christianisme, il faut ou la simplicité d’un enfant ou la sublimité du génie.

Il n’y a pas d’ouverture à l’opéra d’Herculanum, et cela est bien étonnant de la part de M. Félicien David. Une introduction symphonique de courte haleine, où l’on remarque une jolie phrase confiée aux violoncelles, précède le lever du rideau, qui laisse voir le péristyle du palais d’Olympia à Herculanum. Le premier chœur, que chantent les courtisans de la reine, — Gloire, gloire à toi ! — est joli, bien accompagné, mais d’un style léger et de demi-caractère. La reine Olympia ayant demandé aux deux fiancés chrétiens qu’on a amenés devant elle de quel crime ils sont coupables, Hélios répond :


Dans une retraite profonde
Je vis, par un serment lié,
Et ne demande rien au monde
Que le bonheur d’être oublié.


La mélodie de cette espèce de cantique est un peu triste, et rappelle plutôt un de ces vieux noëls de village qu’elle ne donne l’idée de ces hymnes de l’église primitive dont saint Augustin parle avec tant d’enthousiasme dans ses Confessions. Après que Lilia a répété à son tour les paroles et le chant de son fiancé, le morceau se termine par un quatuor d’un effet harmonieux. Je remarque dans l’accompagnement de ce chant pieux et contristé un procédé qui est très familier à M. Félicien David, qu’il a employé dans presque tous les morceaux du Désert, dans Christophe Colomb, dans la Perle du Brésil, et que nous retrouverons bien souvent encore dans l’œuvre nouvelle. Ce procédé consiste dans un doux susurrement d’harmonie consonnante tombant, par accords plaqués, sur une note soutenue et persistante, qu’on