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donnait dans la Méditerranée à sir Thomas Maitland, ne leur aurait pas paru être trop roi, s’il n’eût pas été Anglais. Ils réclament moins contre le maître que contre l’étranger.

La prospérité des Iles-Ioniennes, et surtout de Corfou, sous la domination anglaise, telle que la montre le Quarterly Review, est incontestable. J’ai lu beaucoup de voyages à Corfou; tous les voyageurs s’accordent à dire que l’aspect de Corfou et de la campagne est ravissant. J’y ai passé un jour en revenant de Grèce, et j’ai été enchanté comme tout le monde. Partout de belles routes, une campagne bien cultivée, des paysages charmans dont la mer forme l’horizon, un air d’aisance et de prospérité : l’Angleterre enfin avec du soleil. « Si j’étais un jour forcé de quitter mon pays, me disais-je en remontant sur mon bateau à vapeur, c’est à Corfou que je voudrais être à l’auberge. » À ces biens de la nature et de la civilisation ajoutez, selon le Quarterly Review, les avantages d’une bonne administration, la justice rendue sans corruption, les impôts perçus sans péculat, la vie et la propriété de chacun assurées, le commerce et l’agriculture florissans, l’instruction partout répandue et encouragée. D’où vient donc que les Ioniens sont insensibles à tant d’avantages? Ils ne sont pas le seul peuple à qui le regret de l’indépendance ôte le goût de tous les autres biens de la vie. Le royaume lombard-vénitien est assurément bien administré; d’où vient donc le malaise des Lombards et des Vénitiens? Ils sont Italiens, et leurs maîtres sont Autrichiens. Les Ioniens sont Grecs, et leurs maîtres sont Anglais. De plus, le Quarterly Review reconnaît que les officiers anglais sont « rarement remarquables par le talent de la conciliation. » Les Anglais sont à la fois le peuple le plus voyageur et le moins communicatif. Ils sont partout, et partout ils sont à part. De ce côté, ils ressemblent aux Juifs : ils sont, comme eux, très cosmopolites et très particuliers.

Cette faculté qu’ont les Anglais de n’avoir point besoin d’inspirer la sympathie, faculté qui est peut-être une force, explique comment ils sont depuis trente-cinq ans à Corfou, et toujours étrangers. Un voyageur anglais, sir Edward Giffard, dans son récit d’une excursion faite en 1836 aux Iles-Ioniennes et en Morée, raconte qu’à Corfou il assista au dîner d’adieu que le gouverneur donnait aux sénateurs ioniens après la session. « Il faut peut-être, dit-il, s’en prendre à notre ignorance de leur langue et de leurs habitudes si, d’après ce que nous vîmes de ces sénateurs, nous ne nous fîmes pas une haute idée de l’aristocratie ionienne. Ils étaient silencieux, gênés et maladroits. Peut-être, après tout, ne se faisaient-ils pas de nous une meilleure opinion. Ceux d’entre nous qui leur adressèrent la parole en italien, la seule langue qui nous fût commune avec eux, eurent grand’peine à leur arracher une réponse. Bref, ils ne