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coup, ce me semble, un problème sur lequel les économistes ont longtemps disserté sans parvenir à se mettre d’accord. Les auteurs primitifs, et beaucoup de modernes à leur exemple, n’attribuaient le nom de richesses qu’aux produits matériels ou aux services matérialisés et ayant une valeur échangeable. D’autres auteurs, à l’exemple de J.-B. Say, se sont laissé éblouir par cette considération, que certaines aptitudes, celles de l’avocat, du médecin, du savant, du prêtre, certaines qualités physiques ou morales acquises par le travailleur ont une utilité, une valeur, et contribuent évidemment à l’enrichissement des sociétés : comme il leur répugnait de négliger ces élémens, ils ont admis une classe de richesses immatérielles qu’ils portent à l’actif, pour ainsi dire, dans l’inventaire de la communauté. Si le tort des premiers théoriciens est de ne voir que l’effet produit, le tort des seconds est de confondre l’effet avec la cause. Je crois qu’avec la nomenclature des forces productives proposée par l’auteur de la ploutologie, il n’y aurait plus à discuter à propos des richesses immatérielles. Le savoir, l’intelligence, la dextérité ingénieuse et autres utilités de ce genre se classeraient au nombre des élémens producteurs compris sous le titre d’art industriel, et on réserverait le nom de richesses pour les produits matériels susceptibles d’être appropriés et échangés.

M. Courcelle-Seneuil n’a pas envisagé la consommation comme une branche spéciale de l’économie politique. A ses yeux, les faits de cet ordre se confondent avec les phénomènes de production et de distribution; il est d’accord en cela avec M. Rossi et M. John Stuart Mill. Ce chapitre d’ailleurs ne me paraît offrir aucun point de vue particulier. A propos de la population au contraire, l’auteur de la ploutologie se sépare nettement de l’école et prend une position distincte.

Il est incontestable que le nombre des hommes réunis en société a pour mesure l’étendue des ressources créées par l’industrie. Le mystérieux rapport qui existe entre l’ensemble des travaux producteurs et le mouvement en plus ou en moins des populations est sans doute déterminé par une loi générale : s’il en est ainsi, il y aurait un intérêt suprême à constater cette loi. Malheureusement, la question, abordée d’une manière incidente par Malthus, n’a pas été bien posée dès l’origine[1] : d’une controverse faussée par les passions politiques, il est sorti une doctrine vraiment désolante : tout le monde la connaît, car elle a le mérite de la clarté, et peut être enfermée tout entière en peu de mots. L’espèce humaine a une tendance organique

  1. Nous avons eu occasion de raconter dans une étude déjà ancienne sur Malthus comment le philosophe anglais avait été dominé par ses relations de famille et par les préoccupations de son époque. — Voyez la livraison du 1er avril 1846.