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et virtuelle à s’accroître beaucoup plus rapidement que les moyens d’existence à son usage. La loi naturelle étant que le nombre des êtres humains venus au monde soit disproportionné avec les ressources que le travail peut fournir, il en résulte que beaucoup de malheureux « sont de trop sur la terre, et qu’au grand banquet de la nature il n’y a pas de couvert mis pour eux; » je transcris l’expression du philosophe anglais, tranchante comme le glaive du bourreau. Comment s’opère cette élimination nécessaire pour rétablir l’équilibre entre le nombre des bouches et la quantité des subsistances? Par l’incessante et inévitable destruction de ceux qui sont de trop, de ceux qui sont le plus exposés aux vices, aux maladies, aux défaillances qu’engendre la misère. Essayer de supprimer la misère est une entreprise chimérique : elle est en permanence dans les bas degrés de l’échelle sociale en raison de la surabondante fécondité départie à l’espèce humaine. Le seul moyen, s’il en est, de réagir contre cette fatalité est d’observer la prudence dans le mariage, de ne pas donner l’existence à des enfans pour lesquels on n’entrevoit pas un sort décent et tolérable.

Malthus est le théoricien de la misère : il a proclamé pour ainsi dire la légitimité de son règne. Triste mission et triste succès! Sa doctrine heureusement est fort ébranlée; mais il ne s’agit pas de la réfuter ici. Je m’en tiendrai à une observation qui va me ramener au livre de M. Courcelle-Seneuil. Ce prétendu principe de la population formulé par Malthus, et dont les économistes ont si complaisamment accepté la solidarité, est pourtant en dehors de l’économie politique : il soulève des problèmes de physiologie et de morale, mais il ne rattache en aucune façon le mouvement de la population au mouvement industriel. A quoi bon sonder les mystères de la production et de la distribution des richesses? Ils sont sans influence sur le sort des classes nécessiteuses, s’il est vrai, comme le dit Malthus, que la misère provient d’une pullulation presque inévitable parmi les peuples, et que pour une ration produite il se présentera toujours deux consommateurs, dont un doit périr. M. Courcelle-Seneuil écarte les considérations de physiologie, assez incertaines d’ailleurs, sur la fécondité de l’espèce humaine. Le mérite de ses formules est d’être uniquement ramenées aux faits économiques. Voyons comment il raisonne.

Après avoir admis, suivant l’évidence, que le nombre des hommes dans une société est en rapport avec les ressources créées par le travail, on doit remarquer que ce mot ressources est applicable non-seulement aux denrées alimentaires, mais à tous les produits échangeables. Un peuple qui produirait spécialement du charbon, du fer, des étoffes, et qui pourrait les offrir à des prix séduisans, ne manquerait pas plus de pain qu’un peuple producteur de blé, pourvu