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toutefois que sa liberté commerciale ne fût point paralysée par de stupides règlemens. Cette observation si simple est importante : elle renverse tout d’abord la fameuse proposition sur laquelle Malthus a échafaudé son système[1], car en supposant que la multiplication des hommes fût toujours plus rapide que celle des subsistances, ce qui n’est aucunement démontré, il n’y a pas de limite assignable à la fabrication des marchandises avec lesquelles les alimens peuvent être achetés.

Dans toute société, quelle qu’elle soit, la quantité de ressources créées est la résultante nécessaire de son état économique : exprimons cette quantité par 1,000. Il y a pour chaque individu un minimum de consommation, au-dessous duquel il ne lui serait pas possible de descendre sans que son existence fût compromise : représentons ce minimum par une moyenne dont l’expression sera 10. Il est évident que, dans une société ainsi ordonnée, le plus haut chiffre auquel la population pourra s’élever ne dépassera pas 100; mais dans toutes les sociétés connues le partage des objets consommables est très inégal entre les parties prenantes : il est nécessaire, comme moyen d’émulation, qu’il en soit ainsi. Il y a des individus qui absorbent à leur profit beaucoup plus de choses utiles que certains autres : il y a aussi des consommations improductives qui ne profitent à personne. Plaçons-nous donc dans ce milieu imaginaire que nous venons de prendre pour exemple, et admettons que 20 consommateurs absorbent le double de ce qui a été considéré comme le minimum, soit une quantité égale à 400; l’excédant à partager sera réduit à 600, et cet excédant ne pourra pas faire subsister plus de 60 individus. Dans cette hypothèse, le chiffre de la population totale tomberait forcément à 80. Supposons encore que dans cette même société on détruisît en consommations inutiles des ressources dont la quotité pourrait être exprimée par le chiffre 100 : voilà encore dix existences devenues impossibles, et le chiffre de la population va tomber nécessairement à 70. Cette déduction est d’une telle évidence qu’elle ne comporte aucune contradiction : il suffit de l’énoncer pour qu’elle soit acceptée. M. Courcelle-Seneuil, qui aime les formules précises, mais qui ne se défie pas assez de sa tendance à employer le langage algébrique, énonce de la manière suivante la loi qu’il propose d’introduire dans la science : « Le chiffre nécessaire de la population est égal à la somme des revenus de la société, diminué de la somme des inégalités de consommation, et divisé par le minimum de consommation. »

Je préfère de beaucoup cette formule à celle de Malthus : sans

  1. « Les hommes, dit Malthus, se multiplient suivant une progression géométrique, comme 2, 4, 8, 16, tandis que les subsistances ne peuvent être multipliées que suivant la progression arithmétique 1, 2, 3, 4. »