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contredire en rien ce qu’il y a de vrai dans les assertions de celui-ci, elle n’implique pas la fatalité de la misère : elle rattache et subordonne le mouvement de la population au mouvement industriel. Suivant le philosophe anglais au contraire, la population serait toujours et nécessairement exubérante et affamée, quels que fussent les effets et les résultats de l’industrie, de sorte que l’homme d’état, en présence d’une misère inévitable, n’aurait qu’à se croiser les bras et à gémir. On serait tenté de reprocher à M. Courcelle de n’avoir pas assez insisté sur cette différence. J’essaierai de la faire ressortir un peu plus loin, en montrant les rapports de la théorie à l’application.

Des discussions très animées ont eu lieu en ces dernières années à propos de ce qu’on appelle la loi de la rente. En mettant le problème au concours, l’Académie des sciences morales et politiques l’a énoncé de manière à faire sentir qu’elle adoptait la théorie à laquelle est attaché le nom de Ricardo, et qu’elle demandait moins une recherche nouvelle et indépendante qu’une démonstration définitive en faveur de la théorie la plus ordinairement adoptée. Après un premier concours sans résultat, l’Académie a reçu seulement deux mémoires à la seconde épreuve, et elle a décerné le prix à l’un des concurrens sans témoigner bien nettement que les doutes avaient été éclaircis. D’où vient cette irrésolution? C’est, je crois, qu’en étudiant cette question, il est arrivé ce qui est si fréquent sur le terrain de l’économie politique. Au lieu de dégager d’un phénomène très complexe le fait évident, incontestable, et de l’élever à la hauteur d’un axiome scientifique, on s’est préoccupé des conséquences; on a disserté sur les effets de la mise en valeur des terres, et les solutions ont varié autant que les points de vue politiques.

En vertu d’une analyse trop connue pour qu’il soit nécessaire de la reproduire ici, Ricardo avait prétendu démontrer que la terre donne une rente représentative de sa fécondité naturelle et indépendante du fermage destiné à rémunérer le capital incorporé au fonds, que cette rente n’augmente pas le prix des denrées, et que le propriétaire peut la toucher en sûreté de conscience. Dès qu’on s’empare de cette proposition pour y puiser des argumens pour ou contre le droit; des propriétaires fonciers, ainsi qu’on l’a fait en Angleterre à propos de la libre introduction des céréales, ou en France pendant la fièvre socialiste de 1848, on sort du cadre de la science exacte pour se lancer dans les vagues régions de l’hypothèse. Veut-on opérer selon la rigueur scientifique? Il faut s’en tenir à énoncer dogmatiquement le fait avéré, sans s’inquiéter de l’usage que les praticiens en peuvent faire. Il est incontestable, en thèse générale, que les terres les plus fécondes et les plus favori-