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vaste maison d’enchères publiques où les labeurs de toute sorte sont incessamment vendus et achetés, c’est-à-dire échangés, et en définitive rémunérés équitablement.

Il est bien entendu que ceci s’applique par hypothèse, non pas aux sociétés industrielles telles que nous les avons sous les yeux, mais à un milieu idéal où régnerait une liberté économique absolue et parfaite. Il faudrait, pour réagir contre les préjugés existans, que les économistes eussent le soin de rappeler cette observation dans chacune de leurs pages : je serais tenté de faire à M. Courcelle-Seneuil lui-même le reproche de n’avoir pas assez insisté sur ce point, et de donner parfois matière au malentendu causé par l’inadvertance de ses devanciers. En ce qui concerne, par exemple, le paiement des services industriels, l’usage a consacré une distinction entre l’intérêt du capital, les profits de l’entrepreneur et les salaires de la main-d’œuvre. M. Courcelle-Seneuil supprime le mot profit et applique le nom de salaire au contingent des entrepreneurs comme à celui des ouvriers, sous prétexte que la rémunération des uns et des autres est soumise aux mêmes vicissitudes, réglée par les mêmes lois. Cela peut être exact en supposant un milieu industriel où rien ne ferait obstacle à l’initiative de l’individu, à la liberté des contrats; malheureusement il n’en est pas encore ainsi dans l’état actuel des nations. Les lois sur le crédit, sur les sociétés industrielles et d’autres encore, un subtil réseau de petits règlemens, font obstacle à cette bienheureuse harmonie des besoins et des aptitudes rêvée par les économistes. Telle est, hélas! la cause des agitations d’atelier, de cet antagonisme que bien des gens supposent éteint quand il n’est pas flagrant, mais qui subsiste néanmoins et réagit d’une façon plus ou moins distincte dans toutes les évolutions de la politique contemporaine.

Je crois que la distinction si heureusement introduite par M. Courcelle-Seneuil entre le rôle de l’autorité et les effets de la liberté a été suffisamment comprise. Est-il nécessaire de mettre en parallèle ces deux principes, et de se demander, comme l’a fait l’auteur de la ploutologie, lequel est préférable? En écrivant ce chapitre, il s’est évidemment fait une loi de la plus rigoureuse impartialité. On sent chez lui la velléité de réagir contre les doctrines trop absolues de l’école qui n’a pas fait la part de l’autorité dans les résultats économiques. Peut-être aussi a-t-il été influencé à son insu par le milieu où son œuvre a été composée. Il écrivait au Chili, dans une société en voie de développement, qui doit beaucoup à la vigilance de son gouvernement éclairé, et pour qui cette tutelle sera longtemps encore un bienfait. Quoi qu’il en soit, la liberté n’a pas à se plaindre du parallèle. L’impression qu’on y puise, c’est que les na-