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On n’avait pas encore discerné au temps de Vico que si les démocraties n’ont jamais réussi à se constituer d’une manière durable, c’est qu’elles n’avaient pas même la notion de la vraie liberté économique, qui est leur élément naturel, leur raison d’être. Les révolutionnaires de 1789 commençaient à avoir de vagues lumières sur ces points. Ils adhéraient sympathiquement à la nouvelle doc- trine du laisser-faire ; mais comme la polémique de leur temps avait été spécialement dirigée contre les corporations industrielles, ils crurent avoir suffisamment émancipé l’industrie en proclamant d’une manière générale que chacun serait libre dans le choix de sa profession. Les grandes manufactures, le grand négoce n’existaient à cette époque qu’à l’état d’exception; comment les législateurs auraient-ils pu prévoir les froissemens et les débats occasionnés par les prodigieux développemens de la spéculation industrielle? Aujourd’hui même la masse du public n’est guère plus avancée ni plus curieuse à propos des banques, de la législation commerciale, des échanges internationaux, des exploitations monopolisées et de tous ces arrangemens économiques dont son bien-être dépend. Les études sur ces matières, poussées très loin dans le petit cercle des initiés, n’ont pourtant pas encore acquis cette simplicité, cette splendeur de l’évidence, indispensables pour la vulgarisation des idées.

De même que l’autorité paternelle est nécessaire pour l’éducation des enfans, on conçoit une certaine enfance des sociétés pendant laquelle le principe d’autorité en matière économique peut avoir sa raison d’être; mais il faudrait qu’on prît modèle sur le père de famille qui rend l’essor à ses enfans à mesure qu’il est averti par la tendresse de son cœur que sa vigilance devient moins utile. Malheureusement les princes de la terre n’ont pas l’usage d’en agir ainsi. A part quelques exceptions rares et sublimes, ils se font un métier et presque un honneur de perpétuer, d’accroître leur droit de tutelle. Ici se présente l’occasion d’expliquer comment il s’est fait que le principe d’autorité en matière économique a prévalu jusqu’à nos jours, et comment aussi une dose plus ou moins forte de liberté économique s’est infiltrée dans tous les types de sociétés connus, en dépit des résistances et pour ainsi dire sous la pression de la nécessité. J’emprunterai beaucoup à un chapitre très remarquable de la ploutologie, celui qui commence le livre où l’auteur traite de la distribution des richesses.

C’est l’autorité qui organise les sociétés primitives. Il est naturel que ces êtres prédestinés, en qui rayonnent des qualités supérieures, soient les lumières de la foule. Sous le régime patriarcal comme dans les monarchies de la haute antiquité, remarquons-le bien, la notion de la propriété industrielle n’existe pas. Un nombre plus ou