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une seule monarchie des peuples autrefois divisés, en portant au dehors de la Péninsule les forces et l’activité qu’ils avaient pour ainsi dire créées, ils laissèrent à l’Espagne le germe d’une maladie politique que le génie de Charles-Quint parvint à dissimuler peut-être, mais dont Philippe II hâta l’explosion fatale. Ainsi, à mon avis, les trois règnes s’enchaînent par une liaison intime, et l’on regrette qu’un auteur si éclairé et si impartial dans son appréciation des rois catholiques n’ait pas traité dans tous ses développemens cette grande trilogie.

Probablement ce n’est ni l’étendue ni les difficultés du sujet qui ont retenu l’historien américain dans une carrière qui lui semblait réservée. Je crains qu’il n’ait cédé à un sentiment de modestie, selon moi exagéré. L’Histoire de Charles-Quint par Robertson est en possession d’une si grande renommée partout où la langue anglaise est en usage, que M. Prescott a cru devoir renoncer à élever un monument nouveau à côté de celui que le public est accoutumé d’admirer. Pourtant, M. Prescott le dit lui-même dans sa préface, « les lecteurs du dernier siècle n’étaient pas fort exigeans en matière de recherches historiques. » Robertson n’a pas fait toutes celles qu’il aurait pu faire; je n’en veux d’autre preuve que la facilité avec laquelle il a admis les traditions romanesques sur le séjour de Charles-Quint à Yuste. D’ailleurs, bien des sources autrefois fermées sont ouvertes aujourd’hui, et un assez grand nombre de documens jusqu’alors inconnus se sont produits de nos jours, qui n’ont pas été refondus encore dans une histoire générale. Si l’on trouvait, ce qu’à Dieu plaise, un manuscrit complet de Polybe, si, dans les fouilles que M. Beulé fait près de Tunis, on découvrait des tables de bronze contenant les dépêches d’Annibal au sénat de Carthage, il faudrait se résigner à écrire une nouvelle histoire romaine après Tite-Live, si Tite-Live s’était trompé, ce que je soupçonne quelquefois. Je ne compare pas Robertson à Tite-Live; je dis seulement qu’il écrivit à une époque où l’usage des gens de lettres était de composer une histoire avec des livres imprimés. On polissait l’œuvre rude et grossière d’un ancien, on réformait ses jugemens, on en prononçait de nouveaux, rarement après une enquête nouvelle. Aujourd’hui, bien que nous n’ayons pas entièrement perdu l’habitude d’exploiter à notre profit les labeurs de nos devanciers, nous accordons difficilement une estime durable à l’écrivain qui se borne à dire en langage moderne ce que ses prédécesseurs avaient dit dans le style de leur temps. Au contraire, celui qui a le courage de remonter aux sources originales, qui s’applique patiemment à vérifier ce que personne ne s’est mis en peine d’examiner, quand même il n’arriverait qu’à prouver la certitude d’une opinion reçue de confiance, cet écrivain,