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titude se laissait facilement gagner. Plusieurs de ses généraux l’avaient trahi. Le connétable de Bourbon, avec ses bandes noires, avait rêvé de se créer en Italie une souveraineté indépendante. Après lui, le marquis de Pescaire avait eu la même pensée, car l’exemple des petits tyrans italiens était contagieux, et alors l’idée de don Quichotte, s’attendant de chevalier errant à devenir empereur, n’était pas tout à fait une idée de fou. Seulement il ne fallait pas commencer par courir les déserts pour redresser les torts, mais par rassembler une troupe de bandits braves et dévoués.

Les riches-hommes de Castille et d’Aragon, qui autrefois bouleversaient l’Espagne à leur gré, avaient perdu leur goût pour la guerre civile sous le gouvernement ferme et sévère de Ferdinand et d’Isabelle. Les guerres étrangères offrirent un nouveau but à leur ambition. En conquérant des terres à leurs maîtres, ils essayèrent d’en conquérir pour eux-mêmes. Le premier, Gonsalve, le grand capitaine, fut véhémentement soupçonné d’avoir trop de goût pour le royaume de Naples, qu’il avait gagné à Ferdinand. La composition des armées à cette époque donnait aux généraux habiles et heureux un pouvoir considérable dont ils étaient tentés d’abuser. L’infanterie se recrutait en majeure partie d’aventuriers de toutes les nations, gens de sac et de corde, faisant de la guerre un commerce et vendant leur épée au plus offrant. La cavalerie n’était guère mieux disciplinée ni plus facile à gouverner que l’infanterie. Les hommes d’armes étaient des gentilshommes pleins d’ambition et d’orgueil, dont la susceptibilité n’était pas moins dangereuse parfois que l’avarice des aventuriers. Lautrec livrait à son désavantage la bataille de La Bicoque, forcé de combattre parce que ses Suisses, faute de solde, allaient l’abandonner. La gendarmerie française, et Bayard des premiers, refusaient nettement de monter à la brèche de Padoue, parce que des gentilshommes n’étaient pas faits pour combattre à pied. Dans toutes les armes, le bien du pays que l’on servait était le moindre souci de l’homme de guerre. La gloire pour quelques-uns, pour tous l’espoir du pillage et de prisonniers à mettre à rançon, tels étaient les mobiles les plus puissans qui animaient une armée du XVIe siècle. Le général qui avait la réputation d’enrichir ses soldats était sûr d’être suivi par eux, de quelque côté qu’il déployât sa bannière.

Charles-Quint, avec le coup d’œil du génie, avait su discerner les hommes rares sur le dévouement desquels il pouvait toujours compter, et les ambitieux habiles qu’il pouvait employer avec avantage, tant que leurs intérêts seraient communs avec les siens. Il se servit avec succès des uns et des autres. La première leçon dans l’art de gouverner qu’il donna à son fils fut pour le mettre en garde