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sives ayant éloigné des affaires non-seulement tous les honnêtes gens, mais presque tous les hommes de quelque capacité, une médiocrité absolue semblait être devenue la condition nécessaire pour obtenir des fonctions publiques. La victoire même avait abandonné nos armées, nos conquêtes étaient perdues pour la plupart, nos frontières menacées, bien que le génie de Masséna et la fortune de Brune en eussent pour le moment détourné l’invasion ennemie.

Il est facile de comprendre comment dut être accueilli dans de telles conjonctures le gouvernement nouveau dont les premiers actes furent de clore les listes de proscription, de laisser rentrer presque tous les exilés, de rapporter les mesures de terreur décrétées par le directoire expirant, d’appeler à lui, sans distinction d’opinions, tous les hommes honnêtes et capables, de rétablir l’ordre dans les finances, enfin d’imposer à l’Europe par d’éclatantes victoires la paix la plus glorieuse, la plus utile que la France ait jamais conclue. Au milieu de ce torrent de prospérités et de bienfaits, à peine apercevait-on quelques actes arbitraires qui, comparés aux iniquités dont on sortait, et frappant presque toujours des hommes odieux, paraissaient presque de la justice. Ce qui manquait aux garanties de la liberté dans les nouvelles institutions était peu regretté de la multitude, fatiguée de voir celles dont on avait été si prodigue dans les constitutions précédentes violées avec la plus impudente audace, ou transformées en instrumens de révolte et de désordre. Enfin la violence même qui avait chassé la représentation nationale du lieu de ses séances, ce scandale déploré plus tard par les amis de la liberté, comme donnant un si dangereux exemple, n’affectait guère une génération qui, témoin des actes de cette assemblée, des atteintes journalières qu’elle portait à la constitution et aux lois, des procédés plus qu’irréguliers par lesquels la majorité qui la dominait s’était formée en repoussant les légitimes mandataires des collèges électoraux, ne voyait dans ceux qui la composaient que de méprisables usurpateurs, et ressentait au spectacle de leur humiliation la satisfaction qu’on éprouve à voir renverser un tyran.

En se rappelant toutes ces circonstances, on appréciera avec plus d’indulgence ce qu’il y avait d’excessif dans la faveur générale avec laquelle nos pères accueillirent le consulat naissant. Il y a deux grandes leçons à en tirer : l’une, que confirment bien d’autres exemples puisés dans notre histoire, et même dans celle d’Angleterre, c’est que les crimes, les excès commis au nom de la liberté, inspirent tôt ou tard, pour un temps plus ou moins prolongé, aux peuples condamnés à les subir, le goût, on pourrait presque dire le besoin du pouvoir absolu; l’autre, qui résulte de l’histoire du con-