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sulat et de l’empire suivie dans ses développemens successifs, c’est qu’une nation, en s’abandonnant trop complètement à son gouvernement dans un intérêt mal entendu d’ordre et de paix, en le dégageant ainsi de tout contrôle, en le livrant à l’enivrement de cette toute-puissance qu’aucune tête humaine n’est assez forte pour supporter longtemps sans se troubler, le pousse inévitablement à des folies qui compromettent les résultats mêmes pour lesquels on a fait tant de sacrifices.

Plusieurs complots dirigés contre l’existence du premier consul ne firent que le fortifier, en éveillant vivement dans les imaginations l’idée des périls auxquels la France était exposée, si elle eût perdu le grand homme qui l’avait tirée de l’abîme. On sait à quels excès d’emportement et de frénésie l’inquiétude sincère des uns et le zèle courtisanesque des autres, favorisés par la légitime indignation que l’assassinat excite dans presque tous les cœurs, peuvent arriver en de telles occasions. Les mémoires de M. Miot, en racontant les suites de l’attentat de la machine infernale, offrent un curieux exemple de ces tristes aberrations, et les détails qu’ils contiennent à ce sujet méritent d’être recueillis. Le premier consul, dont la vie avait déjà été menacée par les jacobins, leur imputa d’abord ce nouveau forfait, et traita assez mal le ministre de la police, parce qu’il le voyait enclin à penser que cette fois les coupables appartenaient au parti royaliste. A cet égard, dans les premiers instans, l’opinion du chef de l’état était celle de presque tout le monde. Les sections de l’intérieur et de législation du conseil d’état furent immédiatement réunies pour chercher les moyens de rendre plus actives et plus efficaces les poursuites dirigées contre les auteurs d’attentats à l’existence du gouvernement et à la vie des consuls. Elles proposèrent d’attribuer la connaissance de ces sortes de crimes aux tribunaux spéciaux chargés de juger sans assistance du jury les voleurs de diligences, très nombreux à cette époque, et de plus d’autoriser le gouvernement à éloigner, par mesure de haute police, les individus jugés dangereux pour la tranquillité publique. C’était accorder beaucoup; mais le premier consul, croyant encore que le complot dont il avait failli être victime était l’œuvre des terroristes, s’était tellement préoccupé de l’idée de profiter de l’occasion pour se débarrasser d’eux, qu’il ne se montra nullement satisfait du projet présenté au conseil d’état. Interrompant le rapport dès les premières phrases, il déclara nettement qu’il désirait une loi qui investît le gouvernement d’un pouvoir extraordinaire, et non pas un projet qui, rentrant plus ou moins dans les formes de la justice, ne permettrait ni la punition prompte des coupables, ni l’emploi des grands moyens de haute police indispensables dans la situation où l’on se trouvait.