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dévoués à la cause de Mme Bonaparte, le forcèrent à modifier ce plan. Sans y renoncer absolument, il n’osa cependant pas braver le mécontentement universel que l’exécution complète eût excité. Il revint donc à des idées plus simples, et se rapprocha de ses deux frères, Joseph et Louis, qu’il résolut de faire entrer dans la ligne d’hérédité... Il sut néanmoins se réserver la faculté de revenir au fils de Louis par le moyen de l’adoption, combinaison nouvelle qu’il fit passer dans le sénatus-consulte qui constitua le système impérial[1]. »


Je ne retracerai pas, d’après M. Miot, les curieux détails des moyens par lesquels le plan si laborieusement élaboré dans la famille du premier consul fut mené à maturité et la république transformée en une monarchie absolue avec le concours servile d’hommes bien connus, soit pour leur attachement à la cause des Bourbons, soit pour l’exagération de leurs principes démocratiques. Cela se trouve plus ou moins complètement dans toutes les histoires du temps. Quelques-uns de ces hommes obéissaient en toute sincérité au penchant qui les portait à se rallier à un régime ennemi de la liberté. D’autres ne cédèrent à cet entraînement, alors presque universel, qu’à contre-cœur, en murmurant, mais ils y cédèrent. Il est à remarquer que de tous les grands corps constitués, le seul où il se soit manifesté une opposition tant soit peu sérieuse, quoique bien faible encore, c’est le conseil d’état, que sa composition et la nature de ses attributions semblaient mettre plus qu’un autre à la merci du pouvoir. Berlier, Boulay de la Meurthe, Treilhard, Dauchy, Bérenger, osèrent s’y prononcer, avec de grands ménagemens, il est vrai, contre la monarchie héréditaire, qui fut défendue par Defermon, Fourcroy, Portails, Pelet et Bigot de Préameneu. Le reste se tut. « En général, dit M. Miot, il était évident que la majorité du conseil était opposée au nouveau système; elle hésitait seulement à manifester son opinion. Plusieurs membres ne voulaient au fond que tâcher de deviner ce que désirait le premier consul, afin de s’y conformer. » Lorsque la question arriva au tribunat, ce vœu n’était plus douteux : aussi une seule voix s’éleva-t-elle pour la république, celle de Carnot; un autre tribun, Gallois, se borna à insister pour le maintien des résultats de la révolution et à réclamer des institutions favorables à la liberté et à l’égalité. Il ne fut pas plus écouté que ne l’avait été Rœderer lorsque, dans un conseil privé tenu peu auparavant en présence du premier consul et où la création de l’empire avait été décidée en principe, il s’était hasardé à demander par forme de compensation qu’on attribuât au corps législatif la discussion publique des lois, et que le sénat fût transformé en une chambre haute. Au sénat, trois membres seulement votèrent contre l’empire : c’était, dit-on, Grégoire, Garat et Lanjuinais.

  1. Mémoires, tome II, pages 178 et suiv.