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Le premier consul s’était depuis longtemps assuré de la docilité de cette assemblée par les faveurs dont il l’avait comblée. Sous prétexte de la constituer définitivement et de lui donner une existence plus stable et plus brillante, il lui avait assigné une dotation de 5 millions de rente, au moyen de laquelle le minimum des appointemens d’un sénateur s’était trouvé porté à 40,000 francs. Cette dotation fournissait en outre à la dépense extraordinaire d’un conseil d’administration composé de six grands-officiers richement rétribués. Enfin des sénatoreries étaient créées dans divers départemens, chacune avec 25,000 francs de rente et une résidence, pour être données en surcroît aux sénateurs qui feraient preuve de plus de dévouement. Toutes ces dispositions, lorsqu’elles avaient été proposées au sénat, avaient passé à l’unanimité. Au sortir de la séance, Joseph Bonaparte parlait avec indignation du spectacle qu’elle lui avait offert : « Je suis, disait-il à M. Miot, je suis tout à fait désabusé du républicanisme en France; il n’y en a plus. Pas un membre du sénat n’a ouvert la bouche contre les mesures proposées, et ne s’est même donné la peine de montrer au moins un désintéressement feint. Les plus républicains prenaient un crayon pour calculer ce qui reviendrait à chacun dans le partage du dividende commun. »

Ces mêmes hommes qui subissaient avec tant de facilité l’anéantissement de la liberté semblaient parfois retrouver leurs scrupules et leurs susceptibilités pour des choses bien insignifiantes. L’expression de fidèles sujets employée pour la première fois par M. de Fontanes haranguant le nouvel empereur à la tête du corps législatif excita parmi les assistans les témoignages d’une extrême surprise. Après l’audience, le président trop zélé reçut les plus vifs reproches de ses collègues, avec qui il s’était bien gardé de se concerter sur cette innovation dans l’étiquette. Ce qui augmentait leur mécontentement, c’est que M. Fabre (de l’Aude), portant la parole au nom du tribunat immédiatement après M. de Fontanes, n’avait pas fait usage de la même formule. M. de Fontanes alla trouver l’empereur et lui fit part de l’embarras où il se trouvait. L’empereur, pour l’en tirer, fit dire à M. Fabre (de l’Aude) qu’il entendait que les termes employés par le président du corps législatif se trouvassent également dans le texte imprimé de l’adresse du tribunat, qui devait paraître le lendemain au Moniteur. « Fabre, dit M. Miot, qui attendait de jour en jour sa nomination au sénat, ne fit aucune objection, et en s’éveillant, les tribuns apprirent par le Moniteur que la veille ils s’étaient reconnus les fidèles sujets de l’empereur. Le tribunat, dont l’existence devenait de plus en plus précaire, et dont les membres, dans la ruine qui les menaçait, n’avaient, pour obtenir quelque dédommagement, d’autre recours que la bienveillance de l’empereur, supporta cet affront sans se plaindre; mais le