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tion que le corps législatif. Quelques années après, perfectionnant encore cette théorie, il faisait déclarer par le Moniteur qu’il était absurde de voir dans les membres du corps législatif des représentans de la nation, que ce titre n’appartenait qu’à l’empereur, que s’il avait pu convenir à un corps quelconque, c’eût été au sénat et au conseil d’état plutôt qu’au corps législatif, et que ce dernier ne venait qu’au quatrième rang.

La création de l’empire héréditaire, en faisant cesser le dissentiment qui avait si longtemps séparé Napoléon de ses frères, était loin d’avoir établi entre eux un accord parfait et durable. Chaque moment voyait surgir de nouveaux différends, dont quelques-uns sont dignes d’être recueillis par l’histoire. Il faut lire les singuliers détails que donne M. Miot sur le conseil dans lequel on régla le cérémonial du couronnement, les efforts de Joseph, secondé par l’archi-trésorier Lebrun, pour dégager ce cérémonial de la pompe ridiculement surannée qu’on voulait y introduire, son opposition à ce que sa femme et les autres princesses fussent obligées à porter la queue de l’impératrice, la discussion qui s’engagea à grand renfort de souvenirs historiques, l’irritation de Napoléon, qui, se levant brusquement de son fauteuil, apostropha son frère avec rudesse, et déclama avec autant de véhémence que d’amertume contre ses opinions populaires comme aussi contre les amis qui les entretenaient en lui. Les choses allèrent si loin, que plusieurs fois Joseph fut sur le point d’offrir sa démission. Il se contint pourtant; mais après le conseil, la discussion ayant recommencé entre les deux frères et les deux grands dignitaires, Cambacérès et Lebrun, et la querelle s’étant échauffée, Joseph crut devoir faire ce que, par prudence, il n’avait pas fait dans le conseil même : il proposa de tout quitter et de se retirer en Allemagne. Cette proposition calma l’agitation de l’empereur; il se radoucit un peu, et l’on se sépara froidement.

Quelques jours après. Napoléon fit appeler Joseph, et eut avec lui une explication sérieuse : « J’ai beaucoup réfléchi, lui dit-il; au différend qui s’est élevé entre vous et moi, et je commencerai par vous avouer que, depuis six jours que dure cette querelle, je n’ai pas eu un instant de repos. J’en ai perdu jusqu’au sommeil, et vous seul pouvez exercer sur moi un tel empire; je ne sais aucun événement qui puisse me troubler à ce point. Cette influence tient encore à mon ancienne affection pour vous, au souvenir que je garde de celle que vous m’avez témoignée dans mon enfance, et je suis beaucoup plus dépendant que vous ne le croyez de ce genre de sentimens. D’ailleurs mon attachement pour vous tient aussi à l’idée que j’ai de l’excellence de votre caractère et de votre naturel. Je sais que vous êtes incapable d’un crime, et que jamais, quels que soient les avantages que vous puissiez trouver à ma mort, vous ne les achèterez