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l’autre par ceux qui veulent étudier sérieusement les origines et la nature du régime impérial. Indépendamment du grand intérêt du sujet, peu d’ouvrages de ce genre se recommandent à un égal degré par l’absence des préoccupations de l’amour-propre personnel, par le bon sens, la justesse des vues, et en général l’impartialité. Sauf quelques appréciations politiques dans lesquelles les préjugés de la philosophie du XVIIIe siècle se font encore sentir, sauf aussi quelques jugemens individuels dont la rigueur excessive a le caractère d’une rancune de parti plutôt que d’une sévère justice, M. Miot, en écrivant ce livre, semble s’être placé au point de vue de la postérité. Il parle des grands événemens qui se sont accomplis sous ses yeux, et auxquels il a pris quelquefois une part effective, bien que modeste, comme en parlent aujourd’hui les hommes qui ne se laissent entraîner ni à une servile admiration, ni à un dénigrement systématique. Partout il flétrit le crime, partout il signale et déplore les erreurs et les enivremens de l’ambition ou de l’esprit de parti. L’ancien régime, le gouvernement constitutionnel de 1791, la convention, le directoire, le consulat, l’empire, la première restauration, l’empire des cent jours, sont successivement représentés ou esquissés dans son livre avec une ressemblance presque parfaite. On voit que son esprit est resté libre à travers tant de catastrophes et de changemens. Chose étrange pourtant! cette indépendance d’esprit qui l’a prémuni contre toutes les illusions, contre tous les entraînemens, qui lui a si bien fait voir en toute occasion où était le bien, où était le mal, qui l’a préservé, dans ces temps malheureux, de toute participation aux souillures du crime, ne s’est pas élevée jusqu’à lui faire concevoir la possibilité de se séparer d’un seul de ces innombrables gouvernemens dont plusieurs étaient si odieux. M. Miot les a tous acceptés l’un après l’autre, sans une seule exception, car il dit lui-même qu’il aurait servi la restauration, si elle ne l’avait pas écarté. Il n’en a trahi aucun, mais il n’a jamais éprouvé le moindre scrupule à passer de celui qui venait de tomber à celui qui prenait sa place. En présence des actes les plus coupables, auxquels, je le répète, il est toujours resté personnellement étranger, il n’a jamais cru qu’il y eût pour lui un devoir de conscience ou de convenance à marquer sa désapprobation en se retirant; il est même évident que cette idée ne lui a jamais traversé l’imagination. Voilà ce que les révolutions multipliées font, à bien peu d’exceptions près, en France comme en tout pays, des hommes les plus honnêtes, les plus sensés, et ce n’est pas un des moindres motifs de les maudire.


L. DE VIEL-CASTEL.