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III.

Napoléon, prévoyant l’occurrence de la perte d’une partie de la Lombardie, avait fait choix, pour abriter ses réserves, ses parcs et ses arsenaux, de la ville d’Alexandrie, fondée autrefois pour servir de centre de résistance contre les empereurs, et depuis lors toujours l’objet de leur jalousie. Après le démantèlement de Turin, cette ville avait vu croître son importance, et fut fortifiée avec le plus grand soin. Le général Chasseloup-Laubat, l’une des lumières du corps du génie français, y avait épuisé toutes les ressources de son art, et produisit une certaine sensation dans le monde militaire en y introduisant des formes d’ouvrages qui apportaient des modifications profondes aux méthodes jusqu’alors en usage. Avant de restituer cette place au roi de Sardaigne en 1815, les Autrichiens eurent le soin d’en raser les remparts et ne laissèrent debout qu’une citadelle destinée à maîtriser au besoin la population. Les fortifications d’Alexandrie viennent d’être relevées par les Piémontais, et on se souvient que cet acte d’indépendance est l’un des griefs de l’Autriche contre le Piémont.

A partir de cette ville, située sur la rive droite du fleuve, deux routes peuvent être choisies par une armée en marche vers la Lombardie. L’une mène directement à Milan, elle traverse toutes les rivières de cette partie de l’Italie, qui sont profondes et nombreuses. L’autre suit la rive droite du Pô, elle ne rencontre, avant de le passer à Plaisance, à Crémone ou à Brescello, que des torrens sans importance; mais elle n’en serait pas pour cela plus avantageuse, car l’Autriche occupe en Italie plus que le royaume lombardo-vénitien. Les traités de 1815 l’autorisaient à mettre des garnisons à Plaisance et dans la citadelle de Ferrare. Le pape, qui n’a jamais reconnu à des puissances étrangères le droit de lui imposer de telles obligations, a été, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, obligé de subir une occupation bien plus étendue encore. Des traités passés avec les ducs de Modène et de Toscane ont rendu les Autrichiens maîtres de Brescello, de Livourne, et de la plupart des villes importantes de ces duchés[1]. Le corps qui se porterait d’Alexandrie sur Plaisance pour éviter le passage des rivières qui séparent

  1. Il ne faut pas attribuer uniquement ces conventions militaires au désir que pourrait avoir l’Autriche de maintenir et d’étendre son influence dans les pays indépendans. Les finances sont depuis longtemps la partie faible de l’administration ; or, ne se piquant nullement de la générosité dont la France a fait parade en secourant à ses frais l’Espagne et la Grèce, la Belgique, Rome et la Turquie, le cabinet de Vienne fait payer avec le plus grand soin la solde de ses troupes par les pays qu’elles occupent. C’est une manière avantageuse de posséder une armée respectable sans en supporter la dépense, et l’on peut supposer que ce gouvernement n’y a pas été insensible, car Ferrare, ni aucune des villes autres que Plaisance occupées par l’Autriche en dehors de la Lombardie, n’a d’importance pour la conservation de ses domaines. On ne peut trouver à une telle occupation que des raisons fiscales, à moins d’y voir l’intention de s’établir peu à peu dans des pays indépendans.