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ples. Je montai auprès d’Antonio Spadicelli, afin d’avoir au moins le prétexte d’attendre. Il m’expliqua longuement, et avec une complaisance qu’en d’autres momens j’aurais peut-être appréciée, les mérites de la pholadomya papyvacea, qui ne se trouve qu’aux mers de la Nouvelle-Zélande, et l’extrême rareté du conus adamsonii, qui habite l’Océan-Indien. Je répondais par des monosyllabes aux démonstrations enthousiastes du vieux collectionneur, et je rongeais mon frein comme un cheval entravé qui entend la bataille.

Annunziata arriva enfin ; mon premier regard fut pour son cœur ; les trois hommes s’y remuaient lentement avec des gestes pénibles, et mon image altérée portait la trace des désolations qui me ravageaient moi-même.

— Tu souffres, cher Fabio, me dit-elle dès que nous eûmes laissé Spadicelli à ses coquilles. Tu souffres, pauvre être à qui je ne voudrais donner que de la vie et du bonheur ! cher enfant, pourquoi ta pensée vient-elle réveiller ceux que mon souvenir avait désappris ? pourquoi ne te suffit-il plus d’être heureux ? Eh ! pouvais-je deviner, moi, qu’à côté et en dehors de ma tendresse tu trouverais tant de mal pour toi dans les recoins oubliés de mon cœur ? N’est-ce donc pas toi, toi seul, qui m’as appris à aimer ? Ne suis-je pas née par toi ? Qu’importe ce passé maudit ? le présent n’est-il pas à nous, et n’avons-nous pas l’avenir ? Ah ! si je t’avais rencontré plus tôt sur mon chemin, j’aurais toujours vécu de ta tendresse, pour elle, seule, et notre vie n’eût été qu’un long amour sans tache et sans remords.

Son visage si gai d’habitude, ses yeux où brillaient toutes les joies de la jeunesse, étaient baignés de larmes. J’eus honte de moi, je ne me pardonnais pas d’infliger à cette créature innocente tant d’injustes douleurs, et, tombant à ses pieds, je lui jurai de calmer mon trouble, de ne jamais lui reparler de ces lamentables souvenirs : sermens arrachés par l’émotion, et que tout mon cœur démentait à l’instant même où ils s’échappaient de mes lèvres avec mes sanglots ! Hélas ! c’en était fait ; une curiosité insatiable torturait mon être ; j’avais, pour ainsi dire, soif de nouvelles souffrances, et je savourais mes chagrins jusqu’à l’ivresse. J’avais beau lutter contre moi-même, appeler à mon secours toutes mes forces encore saines : j’étais toujours vaincu, et je restais épuisé des combats que mon âme se livrait à elle-même. Les images terribles que j’avais vues me poursuivaient et me persécutaient comme une meute aboyante. C’est la nuit, la nuit surtout, que je les voyais apparaître évoquées par un lâche besoin de souffrir davantage. Alors je me livrais à elles ; elles entraient en moi, bouleversaient ma raison et me racontaient un passé dont je me désespérais. Que de fois, perdu dans l’obscurité, face à face avec les fantômes, la tête enfouie dans l’oreiller humide de mes larmes, ne me suis-je pas dit : Pourquoi ne pas mourir ? — Et pour-