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tendrement accueilli ma jeunesse. La mort ne la surprit pas, et elle se prépara au dernier combat avec une fermeté que j’admirais. — Du jour où j’ai compris la vie, me disait-elle, j’ai été prête à mourir.

Ses forces diminuaient rapidement; elle accepta les offices suprêmes de la religion avec ce calme impassible et légèrement ironique qu’elle mettait en toute chose, et un soir, à la clarté vacillante des bougies, je vis distinctement que la vie allait se retirer d’elle; j’avais peine à contenir mes larmes. — Ne pleurez pas, me dit-elle. Salomon, qui fut un grand sage, a eu raison de dire : « J’ai trouvé que les morts étaient plus heureux que les vivans, et que le plus heureux est celui qui n’est jamais né, » et j’ai bien peur, mon pauvre neveu, que vous ne soyez bientôt de son avis.

Cette prophétie d’un malheur prochain que ma tante m’avait déjà faite, et qu’elle renouvelait à son lit de mort, me causa une indicible émotion, car je croyais avoir bu déjà tout ce que la vie contient d’amertume. Je l’interrogeai d’une voix douce, mais en évoquant toute la force de ma volonté pour me rendre maître de cette âme affaiblie.

— Prépare-toi courageusement, reprit ma tante; bientôt tu apprécieras le poids des douleurs réelles. Tu crois que tu as souffert? Tu te trompes, tu souffriras! Le sort se vengera de toi, et je vois venir de loin celui qui doit exercer sa vengeance.

— Mais quel est-il? par le ciel! répondez-moi, lui dis-je en la saisissant dans mes bras.

Elle prononça un nom, mais si bas et d’une voix si faible que je ne sentis à mon oreille qu’un souffle insensible; lorsque je me retournai vers elle pour l’interroger de nouveau, elle était morte.

J’aimais beaucoup ma tante; elle avait eu pour moi, malgré ses singularités, des bontés secourables qui me l’avaient rendue chère; mais je vous jure qu’en ce moment ce n’était pas le regret de sa mort qui m’accablait, c’était le désespoir égoïste de n’avoir pas entendu ce nom murmuré par elle, et qui peut-être contenait tout mon avenir. Que n’aurais-je pas donné pour ranimer la pauvre femme pendant une minute seulement, et pour lui arracher ce secret dont l’ignorance me laissait désarmé en présence de la vie!

Pendant les jours pénibles qui suivirent cet événement, Annunziata m’entoura d’une tendresse touchante, et je pus me croire revenu aux instans les meilleurs de notre liaison. Ma tristesse, qui se doublait de mon inquiétude, avait avivé en elle ces instincts de sœur de charité qui dorment au cœur de toutes les femmes et s’éveillent vite au contact de la douleur d’autrui. Son amour avait revêtu quelque chose de maternel qui assouplissait les fibres de mon âme, effaçait mes chagrins et m’enhardissait à espérer. Je n’avais plus