Tel fut le récit de Fabio. Il parut tirer quelque soulagement de cette longue confidence, car pendant plusieurs jours il fut calme et tout à fait apaisé. Je parlai de lui au docteur.
— C’est un halluciné, me répondit-il ; comme je vous le disais, il a substitué la sensation au sentiment, et ce qu’il a éprouvé, il croit l’avoir vu. C’est un cas assez rare, et qui m’intéresse vivement. Il a pris pour une blessure la commotion qu’il a ressentie au cœur en devinant, en voyant peut-être que cette femme le trompait. Il s’imagine que son sang coule ; je ne le contrarie pas ; je panse sérieusement cette prétendue plaie, je lui donne des drogues innocentes, je le rassure, je le console, je l’écoute : c’est tout ce que je peux faire pour lui.
— Croyez-vous pouvoir le guérir ? lui demandai-je.
— Mon cher enfant, répliqua-t-il, quand nous saurons ce que c’est que l’âme et où est le siège exact de ses maladies, je vous répondrai.
Je m’étais attaché à Fabio. Souvent il venait me voir ; nous sortions ensemble, et pendant nos promenades il ne me parlait que d’Annunziata. Je l’écoutais, et je tâchais de redonner un peu de courage à ce cœur endolori. Malgré les soins du docteur et mes exhortations, il eut bientôt une crise violente qui devait amener le tragique dénoûment de sa vie. Un matin il entra chez moi, comme il en avait pris l’habitude ; il était dans une agitation excessive ; au lieu de cette intense pâleur qui blêmissait habituellement son visage, je remarquai avec étonnement sur ses joues une rougeur fiévreuse ; il se promenait à grands pas dans ma chambre, et, sans même penser à me serrer la main, il m’adressa la parole en ces termes :
— Écoutez-moi. Ce que j’ai à vous dire est tellement étrange que j’ose à peine le raconter ; mais vous me croirez, vous pour qui je n’ai plus de secret et qui savez que je ne suis pas un menteur. Cette nuit, ma blessure saignait plus que de coutume ; j’avais beau la presser, le sang coulait toujours ; les images du passé m’obsédaient, je souffrais, je ne pouvais dormir. Je me suis levé, je suis sorti, je me suis assis dans le jardin, et, sous la pâle clarté de la lune qui brillait à travers les plus d’Italie, j’ai livré mon âme à mes rêves désespérans. Il y avait longtemps que j’étais ainsi, presque rasséréné par le charme silencieux de cette nuit nacrée, lorsque du fond d’une allée, au milieu de t’ombre, je vis venir vers moi une blanche apparition qui glissait au-dessus des herbes : c’était Annunziata, plus belle, plus puissante, plus adorée que jamais. Un air de pitié railleuse faisait sourire ses lèvres entr’ouvertes ; elle s’approcha de moi jusqu’à me toucher ; je n’eus pas peur, et je levai hardiment le front vers elle. — Que viens-tu faire ici, tourment de