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ma vie ? lui dis-je ; viens-tu contempler ton ouvrage et te réjouir des maux dont tu m’as accablé ?

— Oh ! Fabio ! me répondit-elle de cette voix harmonieuse que je crois toujours entendre, oh ! Fabio ! je sais que tu souffres, et je viens te secourir. Ton cœur est blessé, ton cœur saigne, et tu me maudis, pauvre enfant ! Donne-le-moi, ton cœur, et prends le mien en échange, car dans le mien il n’y a plus depuis longtemps que de la joie et du bonheur ; alors tu seras enfin heureux, et tu ne m’accuseras plus.

Elle se pencha sur mon épaule, me prit dans ses bras avec un mouvement doux et presque fluide, comme celui de l’eau qui presse le corps d’un nageur ; elle appuya ses lèvres sur les miennes, et je sentis monter vers moi son parfum qui m’enivrait jadis. Une émotion indicible me secouait ; j’éprouvai au cœur une douleur sans nom, je poussai un cri dont l’écho vibre encore dans mon oreille, et je perdis connaissance. J’étais entre les bras de Giovanni lorsque je rouvris les yeux, et, chose horrible à penser, dans ma poitrine, à la place de mon cœur, je sentais battre et je voyais vivre le cœur d’Annunziata. Je le voyais, ce cœur dont la contemplation avait ravagé mon âme, et dans ses profondeurs je me voyais moi-même étendu, raide et froid, à côté des autres morts, et je voyais Lélio plein d’allégresse et de beauté ; mais c’en est trop cette fois, et je veux en finir.

— Eh ! que voulez-vous donc faire ? lui demandai-je, tout stupéfait de cette incroyable révélation.

— Ce que je veux faire ? Écoutez-moi, reprit-il avec violence, je vais vous le dire ; aussi bien vous êtes mon ami, vous ne me trahirez pas, et quand Lélio sera mort, vous ne direz jamais que je suis son meurtrier. Je me venge, c’est mon droit ! C’est Lélio qui a conseillé à Annunziata cette cruauté sinistre, je le sais ; qu’il en soit puni ! Ce que je veux faire ? Je veux le tuer, et puisqu’il est là, en moi, dans ma poitrine, dans ce cœur dont je ne veux pas, je saurai l’y atteindre et l’y frapper ! Le premier couteau venu fera l’affaire, et je vous jure que je ne le manquerai pas !

— Mais, malheureux, vous vous tuerez ! lui criai-je.

— C’est impossible, me répondit-il, puisque ce cœur n’est pas le mien.

Que faire ? Je ne savais quels conseils salutaires donner à ce pauvre être, qui avait absolument perdu la tête. Je fis un effort pour m’associer à son idée : je lui dis que sa vengeance était certainement légitime, mais qu’il fallait bien réfléchir avant de l’exercer ; je lui prêchai le pardon des injures, et je lui montrai le danger et la honte d’un pareil crime. J’étais à bout d’argumens ; du reste il ne m’écou-