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liances de famille et son attentive diplomatie, s’assura l’influence sur l’Allemagne. Il y avait quelque motif d’espérer que la guerre d’Orient affaiblirait pour longtemps ce grand crédit de la Russie dans la confédération ; mais il y a encore plus de raisons de craindre que l’agitation de l’Allemagne, surexcitée par les éventualités italiennes, ne rende au cabinet de Pétersbourg l’occasion de ressaisir son ancien ascendant. Déjà, en proposant des congrès et en les présidant, la Russie commence habilement la restauration de la politique à laquelle elle a dû de faire en Europe une si grande figure pendant quarante ans. Voilà des choses auxquelles les Italiens n’ont pas l’air de se douter que nous ayons à songer sérieusement avant de prendre des partis extrêmes. Dans tous les cas, pour que ce malentendu des défiances qui séparent les peuples s’efface enfin, il faut que les peuples soient vraiment libres, car les gouvernemens libres ne suscitent point de tels ombrages. Que la liberté s’établisse donc partout, si l’on ne veut pas s’exposer à voir les questions d’indépendance nationale dévier par des fautes de conduite, et devenir des causes de luttes ruineuses entre les gouvernemens, et des fermens d’animosité perpétuelle entre les peuples.

Les libéraux et les patriotes italiens, dans leur intérêt comme dans le nôtre, nous pardonneront si, sans rien abandonner du sincère et raisonnable attachement que nous leur portons, nous discutons et nous conduisons, non en Italiens, mais en Français, la question italienne, car dès qu’elle engage notre liberté, notre sang, nos finances, notre industrie, notre crédit dans le monde et cette partie de notre indépendance qu’un peuple expose toujours dans une entreprise de guerre, la question italienne n’est plus naturellement pour nous qu’une question française. Ce n’est point sans motif que nous faisons cette réserve. Nous avons sous les yeux bien des lettres écrites d’Italie et plusieurs écrits remarquables qui viennent d’y être publiés et d’y produire une sensation profonde. Ces lettres et ces écrits, nous le disons à regret, ne nous semblent point ménager assez la liberté d’action de la France. Certes les émotions et l’enthousiasme résolu qui semblent s’être emparés des Italiens ont quelque chose de noble à la fois et de touchant, et nous sommes habitués à comprendre et à respecter de si généreux sentimens. Comment refuserions-nous notre admiration au brave peuple piémontais, qui, docile au devoir, sobre, ferme, sans exaltation factice, sans charlatanisme, supporte les lourdes charges qu’on lui a peut-être témérairement imposées ? Comment ne pas applaudir à ces volontaires, à cette fleur de noblesse italienne dont Turin est le rendez-vous, et qui s’impose les devoirs les plus pénibles de la vie militaire dans l’espoir d’être bientôt conduite sur les champs de bataille où l’on pourra mourir pour la patrie italienne ? Comment rester insensible aux accens de cette brochure Toscana e Austria, où des hommes éminens, le marquis Gosimo Ridolfi, le baron Bettino Ricasoli, le chevalier Ubaldino Peruzzi, ont inscrit leurs noms, et où semble revivre dans sa patrie la ferme, élégante et chaude éloquence de Machiavel ? Quand M. Farini à Turin, dans une brochure dédiée à lord John Russell, M. Salvagnoli et les signataires de Toscana e Austria énumèrent les longs et oppressifs empiétemens de l’Autriche, depuis 1815, sur l’autonomie des petits états italiens, il nous serait impossible de ne point nous unir de toute notre âme à des