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le docteur, n’ont rien inspiré à M. Gounod qui mérite d’être signalé. Le pacte conclu entre les deux puissances, le fini et une moitié de l’infini, Faust et Méphistophélès se mettent à voyager, et le second acte transporte la scène dans la fameuse cave d’Auerbach, à Leipzig. Un beau chœur syllabique et à l’unisson, chanté par de vieux Juifs à la tête branlante, est parfaitement réussi, et le public l’a justement fait répéter. Les couplets à boire de Méphistophélès, avec l’accompagnement du chœur, n’ont pas assez de relief pour un personnage aussi étrange, et l’on songe involontairement à la vigoureuse conception du caractère de Gaspard dans le Freyschütz et de Bertram dans le chef-d’œuvre de Meyerbeer. Le récitatif de Valentin, ainsi que le chœur qui en forme la conclusion, est de ce style solennel et court qui rappelle les oratorios de Haendel, dont M. Gounod s’est plusieurs fois inspiré à bon droit ; mais ce qui est charmant et délicieusement instrumenté, c’est la valse avec le chœur qui en est pour ainsi dire l’accompagnement. Ce morceau, d’une rare élégance et parfumé de poésie allemande, forme, avec le chœur des vieillards que nous avons mentionné, les deux parties saillantes du second acte, dont la supériorité sur le premier n’est pas contestable. Le troisième acte, qui à notre avis est le plus important de tous, présente la rencontre de Faust et de Marguerite sortant de l’église, dont le tableau bien connu d’Ary Scheffer a popularisé en France le type touchant, mais d’un caractère un peu trop mystique. L’air dans lequel Faust s’efforce d’exprimer le ravissement où l’a mis la vue de la jeune fille dont il va briser la destinée n’a de remarquable qu’un accompagnement discret et délicat, où l’on distingue un violon solo qui en suit les contours ; mais le dessin de l’idée est vague, et flotte incessamment entre la mélopée et la mélodie proprement dite. C’est le défaut constant de M. Gounod. Tel est aussi le défaut qu’on peut reprocher à tout ce que chante Marguerite, lorsque, rentrée dans sa petite maison, elle trouve la fatale cassette remplie des bijoux précieux dont elle se pare avec tant de bonheur. Ce récit, car je ne puis pas lui donner une autre qualification, renferme de charmans détails soit dans la partie vocale, soit dans l’accompagnement ; mais il n’y a pas de morceau proprement dit, c’est-à-dire il n’y a pas une idée simple qui se limite et s’impose à la mémoire. Mme Miolan-Carvalho est ravissante dans cette scène de joie enfantine. La vieille Marthe arrive sur ces entrefaites, et bientôt après les deux femmes sont surprises par Faust et son inséparable compagnon, et il en résulte la scène de la promenade carrée dans le jardin, qui, dans le poème de Goethe, est un chef-d’œuvre de raillerie profonde et de sentiment. Comment M. Gounod a-t-il traité cette situation unique ? Comment a-t-il fait parler ces quatre personnages divisés en deux groupes, l’un composé de Marthe et Méphistophélès, exprimant le désabusement et la moquerie de la vie, l’autre de Marguerite et de Faust, effeuillant la fleur de l’idéal et s’enivrant de ses parfums ? Le musicien a-t-il trouvé un thème saillant sur lequel il ait pu jeter toutes les fleurs de sa fantaisie, tous les cris de son cœur sans interrompre le fil du discours commencé ? A-t-il fait un de ces morceaux savans dont l’unité de conception n’empêche pas la variété des modes, un morceau d’ensemble comme le trio du Pré aux Clercs, le quatuor de Zampa, et tant d’autres que je pourrais citer ? Non, ce n’est pas ainsi que procède