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être destiné à remplir dans l’art contemporain le rôle d’un Cherubini, avec des nuances particulières et plus modernes. Ce serait encore une belle carrière à remplir, et dont l’auteur de Faust n’aurait pas le droit de se plaindre.


P. SCUDO.




ACADEMIE FRANÇAISE.


N’avez-vous jamais parcouru une de ces contrées à demi perdues qui existaient même dans notre vieux monde, il n’y a pas si longtemps encore, que le travail de la civilisation avait à peine effleurées, et où pour se retrouver il fallait s’orienter à tout instant et marcher la boussole à la main ? Toutes les routes tracées par la main des hommes s’arrêtaient tout à coup, et on entrait dans une sorte de domaine de l’inconnu, allant à l’aventure entre la halte de la veille et la halte du lendemain. Est-il bien certain que ce ne soit pas là un peu l’image de ce qui se passe aujourd’hui en Europe dans les affaires de la politique et même dans toutes les choses de l’esprit? Nous sommes arrivés, dans la pleine efflorescence de la civilisation, au milieu des chemins de fer et de tous les systèmes de communication, à ce point extrême, à cet espace oublié et inattendu, où finissent toutes les routes tracées, et où l’on est réduit à ressaisir sans cesse une direction qui varie d’heure en heure. Il faut reprendre la boussole pour parcourir ce terrain, où tout est nouveau, où l’inconnu règne sous toutes les formes. Le monde est occupé chaque matin à se demander où il en est et quel chemin il va prendre, ne voyant apparaître aucune lumière nouvelle pour le guider dans l’épais fourré des contradictions du moment. Ce qui est certain, c’est que la politique de l’Europe est engagée dans une redoutable crise, et que le caractère le plus grave de cette crise est une incertitude énervante, une obscurité complète. Ce n’est plus une confusion superficielle et passagère née d’un fait imprévu, c’est une confusion profonde et chronique de toutes les idées, de tous les principes et de toutes les situations.

Et ce qui est vrai en politique ne l’est-il donc pas également, peut-être depuis plus longtemps encore, dans les lettres et dans les arts? Car enfin voici bien des années déjà que la littérature et les arts souffrent d’un mal inconnu qui se révèle par mille symptômes, dont le plus évident est une sorte de languissante incertitude. Ce n’est point assurément que la littérature cesse de produire, et que chaque jour n’ait sa moisson d’œuvres nouvelles. Le roman et l’histoire, la poésie et le théâtre, tout vit de cette vie habituelle qui semble l’accomplissement d’une loi de la nature. Seulement, quand les écrivains auront écrit et quand les livres auront paru, il restera toujours à se demander quelle est la raison morale de cette activité, de quel côté de l’horizon se tourne l’esprit littéraire, sur la foi de quels astres il marche, quels sont ses mobiles et ses aspirations. Ce n’est point le talent qui manque aujourd’hui, c’est une direction, et ici encore n’est-il point vrai que nous cheminons dans l’inconnu, cherchant vainement un courant d’idées, un but précis, une force véritable ayant conscience d’elle-même? Pourquoi s’en étonner d’ailleurs? C’est le caractère essentiel et inévitable de