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plus vives du cœur, et c’est ainsi que cette popularité n’a rien d’éphémère ni de capricieux; elle a pour complices invariables toutes les âmes naturellement ouvertes au sentiment d’une poésie passionnée et sincère.

De la vie d’Alfred de Musset, on n’a rien dit l’autre jour à l’Académie; on n’en pouvait guère parler, car l’auteur de Namouna ne fut rien, ni député, ni ministre, ni ambassadeur; il n’eut rien de l’homme public. Il fut tout au plus bibliothécaire, et la république de 1848 lui prit libéralement son titre: il ne fut en un mot que simple académicien. Quant au reste, il n’est pas aisé de pénétrer dans le mystère d’une vie. Il ne faudrait pas cependant que le silence ressemblât à une trop grande sévérité. Qu’aurait-on pu dire d’Alfred de Musset après tout? Qu’il régla mal sa vie, qu’il céda trop souvent aux entraînemens de son imagination et de sa nature. M. Vitet l’avait dit déjà sur le tombeau du poète avec une parfaite bonne grâce : il fut de ceux qui viennent au monde moins pour se gouverner eux-mêmes que pour charmer les hommes. Hélas! quand on relit aujourd’hui la Confession d’un Enfant du siècle, on n’a pas de peine à voir combien de traits personnels et familiers au poète ont dû passer sur le visage de ce héros du temps, de ce jeune homme qui tombe à chaque instant et se relève pour retomber encore, qui croit se sauver des orages du cœur dans l’ivresse des sens, et éprouve aussitôt le dégoût de ces plaisirs malsains, qui badine avec la souffrance, joue avec tout, et à travers tout garde une âme supérieure à tous les désordres vulgaires, une âme toujours capable de sentir et de souffrir. Ainsi va Octave jusqu’au bout du livre. Que le poète eût quelque prédilection pour cette figure de don Juan qu’il compare à un guerrier, cela est possible. Dans tous les cas, ce qu’il faudra ajouter, c’est que s’il eut dès faiblesses, ces faiblesses n’ont nui qu’à lui-même; il ne s’en faisait pas un piédestal. Il n’était pas de ceux qui ont des théories de réhabilitation toutes prêtes, qui savent toujours abriter leurs passions sous des sophismes, et à la bien prendre, cette Confession d’un Enfant du siècle est elle-même un livre de morale plus éloquent que le traité le plus complet. Ce qui ressemble à de la licence chez Alfred de Musset est quelque chose qui effleure sans laisser de traces, parce que c’est aussitôt épuré comme par une flamme invisible. Il en est de ce libertinage du poète comme de son ironie, qui finit toujours par une larme, quelquefois par un appel à la prière errante, inquiète et désolée. Il n’est plus aujourd’hui, le charmant poète, il a eu l’autre jour ses dernières funérailles, et de longtemps sans doute on n’entendra, même à l’Académie, des accens comparables à ceux de ce jeune et fier génie.


CH. DE MAZADE.


V. DE MARS.