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dans les bras de ceux qui accouraient à son aide. Le combat avait été rude, mais l’enfant était sauvé. Moins heureux que lui, le patron Jean-Marie Domeneuc, ballotté par les flots en courroux, roula longtemps, accroché aux débris qu’on lui avait lancés par-dessus le bord de la goélette. Les gens du village, assemblés sur la rive, l’aperçurent enfin se débattant avec courage au milieu de l’abîme, et faisant des efforts désespérés pour atteindre la terre. Averti par eux, le recteur descendit à son tour au pied des rochers, et il se mit à chercher avec ses paroissiens les moyens de porter secours au malheureux que la mort semblait environner de toutes parts. Qui était-il? Ils l’ignoraient encore, et nul ne pouvait dire si ses forces ne l’abandonneraient pas avant qu’il eût touché le rivage. A mesure que la marée baissait, cette population émue suivant son pasteur, qui l’encourageait par son exemple, marchait à la rencontre des vagues; quelques pêcheurs apportaient de longues cordes, qu’ils se préparaient à lancer au naufragé. Les plus hardis, abordant avec courage un banc de roches aiguës, s’accrochèrent aux aspérités des récifs et se mirent à redescendre du côté de la mer. Par malheur celui qu’ils espéraient sauver venait se heurter lui-même avec violence contre l’écueil. Le flot qui avait jeté Jean-Marie comme un paquet d’algues sèches sur ce lit de rochers se retira précipitamment en roulant sur lui-même, et laissa le marin sans mouvement au milieu d’un tourbillon d’écume. Les gens accourus à son secours s’empressèrent de le soustraire au retour de la vague; ce fut alors qu’ils reconnurent Jean-Marie. Le courageux marin ne donnait plus signe de vie, on dut le transporter en un lieu sûr, à l’abri du vent déchaîné et de la mer furieuse, sur cette même plage qu’il avait, quelques heures auparavant, parcourue d’un pas ferme et leste. Le recteur s’approcha du blessé et lui serra la main. Jean-Marie, dont le cœur battait encore, ouvrit les yeux et essaya de parler; mais sa voix expira sur ses lèvres.

À ce moment, Victorine venait de rentrer au village avec son père. Elle avait vu de loin la Malouine donner dans la passe et gagner le port. Son anxiété se calmait, elle respirait plus librement, lorsque la nouvelle se répandit qu’un homme enlevé par les vagues sur le pont d’un des deux navires était poussé vers le rivage. De nouveau l’inquiétude s’empara de la jeune fille; elle s’élança et se mit à courir sur la plage du côté du groupe qui entourait le mourant et lui prodiguait ses soins.

— Qui est-ce? criait-elle tout effarée, l’a-t-on reconnu? vit-il encore ?

— Il vit encore, lui répondit-on à demi-voix, il vit encore, mais il s’est défoncé la poitrine contre les roches...